Introduction à la philosophie

QU’EST-CE QUE LA PHILOSOPHIE ?

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Rodin, Le penseur (1882)

Pour donner une définition simple, on pourrait dire que la philosophie est une démarche rationnelle qui, par une méthode rigoureuse, tente de résoudre un problème en confrontant plusieurs hypothèses et en proposant une solution provisoire.

La philosophie est la discipline qui aborde des problèmes insolubles et ouvre sans cesse  la réflexion. Il ne s’agit pas d’imposer des dogmes à appliquer, comme le fait  la tradition ou la religion (expl : prier 5 fois par jour, ne pas manger de porc, ne pas être gourmand…). Il s’agit, plus largement et avec tolérance, de se demander ce qu’apporte aux hommes la croyance en un être supérieur, ou de s’interroger sur les notions de bien et de mal. Cette ouverture d’esprit par la réflexion est indispensable pour combattre les préjugés et pour former un esprit critique qui permet d’être libre.

Dans ce texte tiré des Problèmes de Philosophie, le philosophe Russell présente les piliers de la démarche philosophique. Ce texte est un tremplin intéressant pour s’immerger dans le mode de réflexion philosophique, et pour poser les bases de la méthodologie de l’explication de texte en philosophie.

« C’est en fait dans son incertitude même qu’il faut rechercher en grande partie la valeur de la philosophie. L’homme qui ne s’y est pas frotté passe sa vie prisonnier des préjugés du sens commun, des croyances courantes de son époque ou de son pays, et des convictions qui se sont développées dans son esprit sans le concours ou l’approbation de sa réflexion. Pour un tel individu, le monde semble explicite, fini, transparent ; les objets ordinaires n’éveillent nul questionnement, et les hypothèses inhabituelles sont dédaigneusement repoussées.

Au contraire, dès que nous commençons à philosopher nous découvrons que même les choses les plus ordinaires conduisent à des questions sans réponses réellement satisfaisantes. Bien que ne pouvant nous répondre avec certitude aux doutes qu’elle suscite, la philosophie peut suggérer de multiples possibilités qui élargissent nos réflexions et les libèrent de la tyrannie de l’habitude. (…)

Outre son intérêt à révéler des possibilités insoupçonnées, la philosophie recèle une valeur – peut-être sa valeur principale – dans l’importance des objets de sa réflexion, qui permet de s’affranchir des limites de la seule poursuite de buts personnels. L’homme qui agit par instinct restreint son  existence à ses seuls intérêts privés : il peut y inclure sa famille et ses amis, mais sans prêter attention au monde extérieur, sauf si celui-ci peut être utile ou faire obstacle à ce que contient le vase clos de ses désirs spontanés. Dans cette existence, il y a quelque chose de fébrile et de limité, alors que la vie avec la philosophie est sereine et libre. Le microcosme des intérêts dictés par l’instinct est exigu, au milieu d’un immense et puissant univers qui, tôt ou tard, doit amener la fin de notre monde personnel (…).

Tout acquis de connaissance est un développement du Moi, auquel on parvient mieux sans le rechercher directement. On l’obtient quand seul s’exerce le désir de connaissance, par une recherche qui ne préjuge pas la nature de son objet, mais qui modèle le Moi d’après la nature qu’elle découvre dans cet objet. »

Bertrand Russell, Problèmes de philosophie, 1912

Point méthodologique : face à un texte, on commence par chercher le thème (le sujet abordé par le texte), le problème (sous quel angle le texte aborde le sujet) et la thèse de l’auteur (la solution que propose l’auteur au problème). En philosophie, un texte s’étudie de manière linéaire et l’étude doit tenter de distinguer les étapes de l’argumentation de l’auteur.

Thème du texte : la valeur de la philosophie

 Problème du texte : que peut nous apporter la démarche philosophique ?

 Thèse de l’auteur : la valeur de la philosophie n’est pas dans le fait de proposer des solutions à tout type de problèmes, mais de nous inciter à prendre du recul par rapport à notre quotidien et à nous-mêmes et d’ouvrir sans cesse le questionnement, afin que chacun découvre sa petitesse dans l’immensité de l’univers, et admette avec humilité qu’il n’est presque rien par rapport au tout.

 Structure argumentative du texte (comment l’auteur organise ses idées pour proposer sa réponse au problème posé) :

I) « C’est en fait (…) repoussées » : La philosophie n’amène pas à la certitude, close et statique, mais nous maintient dans le questionnement, ouvert et dynamique.

II) « Au contraire (…) monde personnel » : La philosophie nous fait sortir de notre minuscule sphère personnelle pour nous mettre face à l’immensité de l’univers et à la petitesse de notre existence.

III) « Tout acquis (…) dans cet objet » :  Cette ouverture à l’immensité et à l’inconnu, loin d’être seulement source d’angoisse, nous conduit indirectement à une découverte de nous-mêmes et à une capacité d’émerveillement face à tous les objets que nous avions perdu l’habitude de regarder à force de les voir trop souvent.

Tout au long de ce texte, Russell établit une opposition entre le dogmatisme et la philosophie.

Opposition entre philosophie et dogmatisme :

Dogmatisme Philosophie
Certitude

 

Connaissance (statique)

 

Préjugés, croyances

 

Fermeture du questionnement (facilité, paresse)

 

Sphère des buts personnels

 

 

Habitude

 

 

Méconnaissance de soi

 

 

Prétention

 

Enfermement

Incertitude

 

Désir de connaissance (dynamique)

 

Réflexion, questionnement

 

Ouverture, élargissement du questionnement (difficulté, effort)

 

Eclatement de la sphère personnelle et regard sur l’immensité de l’univers

 

Nouveauté du regard sur les choses habituelles

 

Découverte de soi par la remise en cause de sa place centrale dans le tout.

 

 

Humilité

 

Libération intellectuelle et morale

A partir de cette opposition entre deux modes de réflexion, un clos sur lui-même et l’autre ouvert et dynamique, Russell souligne la richesse de la philosophie et fait implicitement référence à la tradition philosophique depuis la Grèce Antique.

La philosophie naît autour du VIIe siècle av. JC en Grèce antique et, même si elle ne portait pas encore ce nom, elle émerge en réaction contre les discours mythologiques, poétiques ou religieux qui imposaient leur interprétation du réel et de la nature (« phusis » en grec). C’est donc contre les croyances aveugles et les égarements de l’imagination que les premiers philosophes adoptent une démarche rationnelle pour donner du sens à la nature.

C’est Socrate qui est considéré comme le premier grand philosophe occidental. Socrate n’a écrit aucun ouvrage lui-même, et sa pensée nous est connue grâce aux écrits de ses disciples, Platon notamment. Socrate pratique la philosophie en place publique et cherche, par sa démarche, à éveiller la réflexion de ses interlocuteurs. Contrairement aux Sophistes qui prétendaient enseigner le savoir en échange d’argent, Socrate n’a aucune prétention à posséder le savoir : il est « philosophe », c’est-à-dire qu’il tend vers la connaissance, il la désire mais sait qu’il ne l’atteindra jamais complètement (d’où la fameuse phrase de Socrate : « La seule chose que je sais, c’est que je ne sais rien »).

Quand Socrate questionne les jeunes gens, ce n’est pas pour leur enseigner qqch, mais simplement pour leur montrer qu’ils ont tendance à croire ce qu’on leur apprend et à le répéter aveuglement sans exercer leur esprit critique (un peu comme aujourd’hui lorsqu’on partage un article sur les réseaux sociaux en n’ayant lu que le titre). Or, l‘esprit critique commence avec le doute : en doutant de ce que l’on entend, de ce que l’on nous apprend, de ce que l’on croit, on favorise le recours à la raison pour distinguer clairement ce qui est vrai et ce qui est faux.

Ce doute éveille en nous une curiosité (on désire savoir ce que l’on croyait savoir), une humilité (on désire savoir et on ne prétend pas savoir) et une capacité d’émerveillement (on doit observer à nouveau ce qu’il y a en nous et hors de nous pour les passer au crible de notre esprit critique, on redécouvre ce que l’on avait perdu l’habitude de voir au quotidien).

Ainsi, lorsque, à la fin du texte, Russell évoque le « désir de connaissance », il fait directement référence à l’étymologie du terme de « philosophie ».

L’immense richesse que constitue pour nous le désir de connaissance pourrait être illustrée par ces mots d’Einstein « Je commençais à m’apercevoir qu’au-dehors se trouve un monde immense qui existe indépendamment de nous autres êtres humains et qui se tient devant nous comme une grande et éternelle énigme mais accessible, au moins en partie, à notre perception et à notre pensée. Cette considération me fit entrevoir une véritable libération et je me rendis compte que des hommes que j’avais appris à estimer et à admirer avaient trouvé, en s’abandonnant à cette occupation, la liberté intérieure et la sérénité ».

Remarque méthodologique : pour bien conduire une explication de ce texte, il faudrait distinguer et synthétiser les différents points à partir desquels Russell construit son éloge de la philosophie. Selon lui, la philosophie invite à :

  • se poser sans cesse plus de questions en n’apportant de réponse définitive à aucune d’entre elles et à ne jamais croire qqch sans l’avoir examiné par soi-même.
  • sortir du carcan de la vie quotidienne pour regarder le monde sous un oeil nouveau et prendre conscience que nous ne sommes rien dans l’univers.
  • se rendre compte que ce n’est pas en se regardant le nombril mais c’est en cherchant à assouvir son désir de connaissance que l’on se découvre un peu mieux soi-même.

Dans cet interview, Russell évoque ces quelques points en insistant bien sur l’importance du doute (la « suspension du jugement ») et de la réflexion autonome (étymologiquement, « auto-nomos » = ce qui se donne à soi-même sa propre loi, ce qui ne dépend pas d’ordres extérieurs pour agir et penser) :

 

Pour conclure, on peut souligner que le vertige suscité par la prise de conscience de la petitesse de l’homme par rapport à l’infini fait partie des thèmes récurrents dans l’histoire de la philosophie.  On peut notamment se référer au philosophe mathématicien Blaise Pascal qui affirme dans les Pensées : « Car enfin, qu’est-ce que l’homme dans la nature ? Un néant à l’égard de l’infini, un tout à l’égard du néant, un milieu entre rien et tout. Infiniment éloigné de comprendre les extrêmes, la fin des choses et leur principe sont pour lui invinciblement cachés dans un secret impénétrable, également incapable de voir le néant d’où il est tiré, et l’infini où il est englouti »

Enfin, pour rêver, quelques images de l’univers (infini en expansion accélérée) prises par le télescope Hubble:

En un mot, philosophons!

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