La démonstration, l’expérience et la vérité

           FICHE SUR LA DEMONSTRATION, LA THEORIE, L’EXPERIENCE ET LA VERITE

DEFINITIONS :

  • Réel : ensemble des choses qui existent
  • Raison: faculté humaine qui permet de donner un sens cohérent au réel
  • Mythe: histoire inventée pour rendre compte de l’origine d’un phénomène réel
  • Science : démarche rationnelle consistant à expliquer un phénomène par ses causes
  • Démontrer: mener un raisonnement rationnel consistant à déduire une proposition d’une autre pour parvenir à une conclusion valide.
  • Expliquer : analyser le sens et les causes d’un phénomène
  • Comprendre : saisir par la pensée un phénomène
  • Interpréter : donner et partager un sens attribué à qqch
  • Validité : cohérence logique
  • Vérité : correspondance entre mon discours et la réalité
  • Logique : science établissant les règles permettant de mener un raisonnement correct
  • Syllogisme : raisonnement en 3 parties, composé de 2 prémisses et d’une conclusion
  • Expérience : au sens large, vécu subjectif, confrontation au réel
  • Expérimentation: au sens scientifique, méthode pour tirer une conclusion fiable d’une observation du réel
  • Méthode : manière utilisée pour mener un raisonnement
  • Falsifiabilité: critère de démarcation d’une science (un énoncé est scientifiquement vrai s’il admet la possibilité d’être rendu faux par une expérience)
  • Métaphysique : domaine qui aborde des questions inaccessibles à la connaissance (ce qui est « au-delà de la nature »)
  • Croire : considérer comme vrai ou existant sans être capable de le prouver
  • Savoir : tenir pour vrai et pouvoir le démontrer ou le prouver

INTRODUCTION :

Face au réel, les hommes cherchent à donner du sens à ce qui les entoure. Pour cela, ils utilisent plusieurs moyens, plus ou moins rationnels. En effet, pour rendre compte d’un phénomène, on peut imaginer une histoire ou tenter de l’expliquer en en cherchant rationnellement les causes.

La démonstration de type mathématique semble être la méthode la plus rationnelle et la plus efficace pour connaître objectivement un objet, car c’est un raisonnement rigoureux et logique permettant de parvenir à une conclusion valide.

  • Problématique du cours: si la démonstration est si belle et efficace pour établir une conclusion valide et objective, doit-elle être prise comme modèle pour tous nos raisonnements ? N’y a-t-il pas d’autres moyens pour connaître, ou plus largement pour appréhender le réel ?

 

I) La démonstration comme modèle pour tous nos raisonnements

A) Le syllogisme, paradigme de la démonstration

La démonstration est particulièrement fiable parce qu’elle est fondée sur la logique (science qui étudie les règles d’enchainement correct des propositions entre elles).

Référence : Aristote, Organon : la forme de raisonnement la plus logique est le syllogisme, composé de 3 parties (2 prémisses et une conclusion) car la conclusion découle nécessairement des prémisses. Expl : tous les hommes sont mortels, or Socrate est un homme, donc Socrate est mortel.

 B) Le modèle de la démonstration mathématique

La démonstration mathématique est l’opération intellectuelle qui permet de passer d’une proposition à une autre grâce à la déduction pour parvenir à une conclusion valide. Elle est un modèle de raisonnement pour aborder les objets abstraits et établir une conclusion universelle.

Référence : Descartes, Règles pour la direction de l’esprit : pour bâtir les connaissances sur des fondements solides, il faut trouver une méthode fiable qui permette de distinguer clairement le vrai et le faux. Les mathématiques sont un modèle de raisonnement dont la fiabilité est liée à l’abstraction de leur objet et à leur méthode fondée sur la déduction. Les mathématiques doivent donc être prises comme modèle pour tous nos raisonnements (en physique, mécanique, médecine, et même morale et métaphysique).

Expl : fascination pour les mathématiques en art : application des proportions du nombre d’or en architecture (pyramide de Kheops, Parthénon, Notre Dame de Paris) et en peinture (Leonard de Vinci, Botticelli, Mondrian).

Transition I-II : la démonstration de type mathématique est apparue comme un modèle de rigueur et de la clarté, permettant d’assurer la validité d’une conclusion. Mais ce modèle n’a-t-il pas ses limites, internes (dans sa méthode) et externes (est-il adapté à la pratique de toute science ?) ?

 II) Les faiblesses de la démonstration

A) L’insuffisance de la validité formelle

Distinction entre la validité (cohérence logique) et la vérité (correspondance entre mon discours et la réalité), distinction entre la forme et le contenu.

La démonstration est très efficace pour établir une conclusion valide, cad logiquement correcte, mais pas forcément vraie. En maths par expl, le raisonnement se fait dans l’abstrait, il manque donc un contact avec la réalité.

Expl : syllogisme absurde : plus il y a de gruyère plus il y a de trous, or plus il y a de trous moins il y a de gruyère, donc plus il y a de gruyère moins il y a de gruyère.

B) L’irrationalité de l’accès aux premières propositions

La démonstration apparaît comme un modèle de rationalité mais un problème se pose quant à son point de départ. Les 1e propositions à la base d’une démonstration ne peuvent pas être elles-mêmes démontrées (sinon, problème de la régression à l’infini). Comment y accéder ?

Référence : Descartes, Règles pour la direction de l’esprit : c’est une opération de la raison elle-même qui permet de connaître les 1e propositions : l’intuition. La connaissance des 1e principes relève de l’évidence, permise par la lumière divine qui illumine la raison humaine.

Référence : Pascal, Pensées : les 1e principes ne peuvent pas être connus par la raison. Ils peuvent seulement être sentis par une autre faculté : le cœur ou la foi. La connaissance humaine est donc imparfaite (elle n’est pas entièrement démontrable rationnellement), et naît d’une complémentarité entre la raison (pour faire la démonstration) et le cœur (pour sentir les 1e principes).

Pour éviter de faire des hypothèses métaphysiques (supposant qu’un Dieu nous donne la faculté de connaître ou de sentir les 1e principes), on peut dire que les 1E principes sont posés arbitrairement et admis comme points de départ. Cela n’empêche pas les démonstrations construites sur leur base d’être parfaitement cohérentes et fiables.

Expl : en géométrie, si on pose d’autres axiomes que ceux posés par Euclide, on peut construire d’autres géométries parfaitement cohérentes (expl : pour raisonner sur une surface courbe et non plane, la géométrie riemanienne est plus commode que la géométrie euclidienne).

Transition II-III : la démonstration est parfaitement adaptée et efficace pour raisonner sur des objets abstraits, mais elle n’est pas un modèle absolu de rationalité car ses points de départ sont posés de façon irrationnelle. De plus, elle n’est pas la méthode la plus adaptée pour connaître les objets concrets car il lui manque un rapport avec la réalité, et elle ne convient pas à tous les domaines de réflexion.

III) Les autres moyens pour connaître et pour appréhender le réel

A) Le recours à l’expérience nécessaire pour construire certaines sciences

Pour connaître un objet réel, le seul et unique moyen est de se confronter à la réalité. Contrairement aux rationalistes comme Descartes qui pensent que nous avons certaines idées innées en nous, les empiristes voient dans l’expérience la seule source possible de connaissance.

Référence : Locke, Essai sur l’entendement humain : à la naissance, l’esprit est comme une page blanche. Seule l’expérience subjective peut venir remplir cette page.

Expl : il n’y a pas en nous d’idée de triangle avant d’avoir vu, touché ou senti un triangle et avant d’avoir appris le nom associé à cette forme.

Cependant, l’expérience est subjective. En effet, la confrontation au réel se fait par le biais de nos organes des sens. Nos sens sont personnels, les données des sens sont interprétées par notre esprit, et les sens peuvent nous conduire à l’erreur.

Expl : si je cherche à quelle température bout l’eau, je n’obtiens pas le même résultat ici et en altitude car la pression varie.

L’empirisme conduit à ne rien pouvoir affirmer avec certitude.

 Référence : Hume, Enquête sur l’entendement humain : même si à chaque fois que je mange du pain, le pain me nourrit, il n’est pas certain que si je mange du pain demain, il me nourrira, il est seulement probable qu’il me nourrira parce que j’ai l’habitude qu’il me nourrisse. Le lien causal entre le pain et la satiété est illusoire, il y a seulement une corrélation entre les 2 éléments : « Le pain que j’ai mangé précédemment m’a nourri (…) mais en suit-il qu’il faille que l’autre pain me nourrisse en une autre époque, et que des qualités sensibles semblables, s’accompagnent  toujours de semblables pouvoir ? La conséquence ne me semble en rien nécessaire. »

 Pour sortir de l’écueil auquel conduit l’empirisme, Kant propose une théorie de la connaissance qui associe ce qui est a priori et ce qui est a posteriori.

Référence : Kant, Critique de la raison pure : c’est bien l’expérience qui est 1e chronologiquement dans le processus de connaissance. Mais l’expérience nous arrive de façon rhapsodique et confuse, et nous ne pourrions en tirer aucune connaissance si les sujets ne partageaient pas des catégories a priori dans leur entendement (quantité, qualité, causalité…) qui leur permettent d’organiser cette expérience. « il se pourrait bien que même notre connaissance par expérience fût un composé de ce que nous recevons des impressions sensibles et de ce que notre propre pouvoir de connaître (simplement excité par des impressions sensibles) produit de lui-même »

Par ailleurs, comment donner un rôle à l’expérience subjective dans la construction de la connaissance scientifique (qui tend vers l’objectivité ?). Pour éviter qu’elle nous conduise à l’erreur, l’expérience doit être répétée et encadrée par un ensemble de règles et une méthode précise.

Référence : Claude Bernard, Introduction à la médecine expérimentale : en sciences, l’expérience doit être encadrée et passer rigoureusement par plusieurs étapes : observation d’un phénomène, hypothèse pour expliquer ce phénomène, mise en place d’un protocole pour tester l’hypothèse posée, tirer une conclusion : si l’hypothèse est infirmée, trouver une autre hypothèse ; sinon l’hypothèse est confirmée.

Expl : découverte de la fonction glycogénique du foie

L’expérimentation doit être menée rigoureusement, avec une méthode précise qui mêle habilement théorie et pratique. Le scientifique doit suivre cette méthode et éviter de se fier à sa 1e observation du réel.

Référence : Bachelard, La formation de l’esprit scientifique : « l’observation a besoin d’un corps de précautions qui conduisent à réfléchir avant de regarder (…) L’observation scientifique est toujours une observation polémique ».

Suite à l’expérimentation, la vérité scientifique établie est provisoire car une nouvelle expérience, faite par un autre scientifique ou permise par de nouveaux instruments techniques, peut à tout moment venir la remettre en cause.

Référence : Popper, La logique de la découverte scientifique : le critère pour démarquer une science d’une pseudo-science ou d’une croyance, c’est la « falsifiabilité » ou  « réfutabilité » : un énoncé n’est scientifiquement vrai que s’il admet la possibilité d’être à tout moment rendu faux par une nouvelle expérience.

Expl : on a considéré comme vraie la thèse géocentrique jusqu’à ce qu’on puisse montrer et observer que c’est la Terre qui tourne autour du Soleil et non le contraire.

B) Le rôle de l’interprétation dans les sciences et les autres disciplines

Hors des maths, l’interprétation du scientifique doit intervenir dans la lecture des résultats. En sciences, l’interprétation du scientifique ne relève pas de l’imagination subjective mais elle doit s’appuyer sur des connaissances et sur une expérience.

Expl : pour interpréter un électrocardiogramme, la lecture du cardiologue est plus pertinente que celle d’un individu lambda.

Dans les sciences dites « humaines », le rôle de l’interprétation est plus important car le nombre de facteurs qui interviennent dans les résultats est considérable. Pour des sciences comme l’économie, la sociologie, l’histoire, l’anthropologie…, la méthode doit être suivie particulièrement rigoureusement pour permettre le plus d’objectivité possible dans la lecture des résultats obtenus.

Expl : si on fait une étude sur l’effet des jeux vidéos sur la violence des jeunes, il faut s’assurer que l’échantillon étudié est assez important, que l’origine sociologique des sujets étudiés est diversifiée, les types et le temps de jeu des sujets…

En linguistique, l’interprétation est centrale et consiste, dans le cas d’une traduction, de passer d’un système de signes à un autre système de signes. Le but de l’interprétation est d’être le plus fidèle possible au sens et à la forme originale, mais c’est loin d’être évident car les langues reflètent des cultures complètement différentes.

Expl : traduire l’expression anglaise « to rain cats and dogs » littéralement n’aurait aucun sens en français.

Pour interpréter des textes religieux, l’interprétation est très délicate. En effet, il s’agit de rester le plus proche possible du sens du texte. Mais les textes religieux sont souvent écrits sous forme de paraboles, de métaphores ou de mystères, ce qui déclenche notre imagination et ouvre les interprétations.

Référence : Spinoza, Traité théologico-politique : l’herméneutique des textes religieux doit être pleinement libre. Aucune autorité, politique ou religieuse, ne doit pouvoir imposer un sens précis des textes aux croyants.

Dans le domaine du droit, on parle aussi d’interprétation car le juge est interprète de la loi. Dans ce cas, l’interprétation consiste à adapter un texte général à un cas particulier.

Dans d’autres domaines comme en art, même si certaines interprétations peuvent être plus « cultivées » que d’autres (connaissance de l’artiste, du contexte, du thème…), toutes les interprétations sont légitimes (si elles ne sont pas fallacieuses) et l’interprétation peut assumer sa subjectivité.

Référence : Gadamer, Vérité et méthode : « Interpréter, c’est toujours en un sens recréer »

Expl : pour interpréter une partition, les pianistes peuvent proposer au public une part de subjectivité et donner ainsi naissance à des émotions différentes (expl : une Nocturne de Chopin peut être jouée en suscitant de la tristesse, de la mélancolie, du désir…).

Expl : en peinture, un même thème peut donner naissance à des œuvres totalement différentes (expl : interprétation du Déjeuner sur l’herbe de Manet par Picasso).

C) La séparation des domaines du savoir et de la croyance

Pour aborder les questions métaphysiques, il ne faut pas chercher à expliquer ni à connaître, il faut se contenter de croire. La véritable foi est la croyance consciente d’être croyance et non savoir. Au contraire, la croyance qui se prend pour un savoir conduit à l’ignorance et aux préjugés, et peut même être dangereuse et conduire au fanatisme.

Référence : Kant, Critique de la raison pure : il est complètement absurde de démontrer ou de prétendre faire l’expérience de l’existence de Dieu. Pour les questions métaphysiques, il faut « renoncer au savoir et laisser place à la croyance ».

En un mot, philosophons!

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