L’image en politique

Le rôle de l’image en politique : Machiavel, Rigaud, de la Moisonnière

L’utilisation des images (dessins, gravures, peintures, sculptures…) par les hommes politiques pour asseoir leur pouvoir est loin d’être nouvelle.

Dès le IV e siècle av JC en Egypte ancienne, les Pharaons utilisaient des images et symboles pour affirmer leur toute-puissance, politique et religieuse.  Prenons par expl le masque mortuaire de Toutankhamon, modelé en soudant des feuilles d’or et incrusté de pierres semi-précieuses. Ce masque était utilisé pour affirmer au peuple la puissance et la gloire du Pharaon, et pour assurer au Pharaon une renaissance de son âme dans l’au-delà. Sur le némès (coiffure) du Pharaon, on voit de l’or et de lapis-lazuli, les Pharaons étant considérés comme l’incarnation du dieu du soleil (or) et du dieu du ciel (bleu). Sur le front se tiennent un cobra et un vautour, symboles de l’union de la Basse et de la Haute Egypte. Enfin, les têtes de faucon sur le collier renvoie au dieu du ciel Horus, et symbolisent le statut divin du Pharaon.

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Machiavel, Le Prince (début XVIe)

Loin du cynisme auquel on a l’habitude de l’associer, Machiavel propose, dans le Prince, des conseils pour obtenir et pour se maintenir au pouvoir. Le Prince est un traité politique qui présente une vision inédite de la gestion du pouvoir, àpd analyse d’expl tirés de l’histoire antique et de l’histoire italienne.

La pensée de Machiavel a été très caricaturée, le « machiavélisme » étant associé au cynisme et à l’immoralisme en politique. En réalité, la pensée de Machiavel est plus nuancée et complexe. Selon Machiavel, la plus grande force du Prince (celui qui dirige) est de savoir agir en fonction des circonstances (cette qualité se nomme la « virtu »). Pour que le peuple ait confiance en lui, il peut faire usage de la raison, mais il est plus efficace de faire appel aux sentiments et susciter la crainte. Mais cela ne veut pas dire que le Prince peut agir par pure cruauté. Au contraire même car il se ferait haïr. S’il arrive au Prince d’agir immoralement, ce n’est pas par plaisir mais par stratégie politique, pour asseoir et renforcer son pouvoir.

Pour que le peuple soit et reste loyal envers le dirigeant, celui-ci doit soigner son image.

Dans le chp XVIII, après avoir montré que le Prince doit associer la force du lion avec la ruse du renard, Machiavel montre que le Prince ne peut pas posséder toutes les vertus, et que certaines lui seraient même néfastes. De même, il ne peut accomplir toutes ses promesses car certaines pourraient avoir des effets néfastes pour son gouvernement. Pour masquer cela, Machiavel affirme explicitement que le Prince doit « posséder parfaitement l’art et de simuler et de dissimuler ». Véritable comédien, il doit paraître « tout plein de douceur, de sincérité, d’humanité, d’honneur, et principalement de religion ».

Machiavel souligne donc le rôle du paraître. Il ne s’agit pas de ne posséder aucune qualité mais de « paraître » toutes les posséder et, pour diffuser ce paraître, il doit prendre soin de son image et ne pas hésiter à recourir aux ruses et manipulations.

Hyacinthe Rigaud, Portrait de Louis XIV (1701)

Louis XIV, le Roi Soleil, est loin d’être le 1e à faire usage de l’image pour affirmer son pouvoir. Henri IV s’était souvent fait peindre et sculpté en Jupiter ou en Hercule. Mais Louis XIV pousse son jeu d’image à son comble. Lorsqu’il commande ce tableau au peintre, Louis XIV est à l’apogée de son règne, il a 63 ans. On voit le Roi debout en pied, légèrement de profil. Le tableau est construit en lignes verticales (colonne, roi, trône) et en triangle, ce qui porte le regard vers le haut et renforce la grandeur du personnage. La scène est volontairement théâtralisée, ce qui est renforcé par le lourd rideau rouge : le roi ne paraît pas, il apparaît. La colonne de marbre est symbole de stabilité et d’union entre ciel et terre depuis la Renaissance. En bas de la colonne, on aperçoit l’allégorie de la Justice.  Sur le tableau, on trouve tous les attributs du roi : la couronne, le sceptre, la main de justice, le manteau avec fleurs de lys, l’épée de Charlemagne, l’hermine, le trône, la croix de l’ordre de Saint Louis (pendentif).

Dans ce tableau, le roi incarne la majesté par excellence.

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Hyacinthe Rigaud, Portrait de Louis XIV (1638)

Soazig de la Moissonnière, Portrait officiel d’Emmanuel Macron

Contrairement au Roi dont le pouvoir était transmis héréditairement pour une durée indéterminée, le Président de la République est élu pour une durée limitée. En démocratie, l’image du candidat aux élections est essentielle, et celle de l’élu l’est aussi, non seulement parce qu’il faut qu’il ait l’approbation du peuple pendant la durée de son mandat, mais aussi qu’il puisse être réélu.

La photo officielle d’Emmanuel Macron est le résultat d’un long calcul. Rien n’est laissé au hasard. Le Président français apparaît au centre de la photo, et le placement de ses bras appuyés sur le bureau donne à l’ensemble une construction triangulaire (ce qui rappelle son discours d’élection devant la Pyramide du Louvre) et une dynamique ascendante, renforcée par l’axe de symétrie verticale. Son vêtement, le costume est à la fois très classique (couleur bleue marine, cravate) et moderne (un bouton ouvert, forme de la veste). Ses poings sont fermement posés sur le bureau, ce qui montre qu’il prend en main avec vigueur et force le pays. Sur son visage, on aperçoit un sourire, évoquant la sympathie et l’autorité. Symétriquement, les 2 drapeaux français et européen qui entourent le Président. Sur le bureau, on trouve d’un côté 2 livres de la Pléiade (Le Rouge et le Noir de Stendhal et Les nourritures terrestres de Gide) et une pendule, évoquant la ponctualité du Président. De l’autre côté, on trouve un livre ouvert (les Mémoires de De Gaulle, Président fondateur de la Ve République), un coq en or (symbole de la France) et un smartphone. Cet agencement place le Président entre la tradition et la modernité, fidèle aux valeurs françaises traditionnelles et ancré dans l’actualité et la technologie. Enfin, on peut remarquer que la fenêtre est grande ouverte, et l’horizon tend vers les arbres et le ciel. Le Président est à l’intérieur, prêt à travailler de son bureau, et ouvert vers l’extérieur, la nature, le monde. Une interprétation un peu plus poussée pourrait montrer que le Président se place dans un intermédiaire entre la Terre et le Ciel, ce qui lui confère presque un statut divin.

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Soazig de la Moissonnière, Portrait officiel d’Emmanuel Macron (2017)

En un mot, philosophons!

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