L’homme et l’animal

LA CONSCIENCE, LE VIVANT, LA MATIERE ET L’ESPRIT

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Selfie avec gorilles prise au Congo en avril 2019

Question : la conscience fait-elle la supériorité de l’homme par rapport aux autres animaux ?

Analyse des termes :

  • Conscience : au sens large, pouvoir de représentation de soi et du monde. En un sens plus spécifique, capacité de la pensée à faire retour sur elle-même (réflexivité de la conscience = conscience d’être conscient).
  • Animal : être vivant capable de se mouvoir, de se nourrir, de se reproduire mais aussi de ressentir et même, en un certain sens, de penser. Parmi les animaux, il y a différentes espèces.
  • Homme : être ayant un statut particulier parmi les animaux.

Présupposé : il existe une hiérarchie des animaux et l’homme est en haut de cette hiérarchie.

Problématisation :

Réponse naïve : la conscience est un des critères qui permettent de dire que l’homme est un être supérieur par rapport aux autres animaux.

Limites de cette réponse : si on envisage un sens large de la conscience, on ne peut réserver la conscience à l’homme.

=> Problématique : peut-on prendre la conscience comme critère pour élever l’homme au-dessus des autres animaux ou doit-on revoir cette hiérarchie ?

Plan du cours :

I) Seul l’homme est un animal doté de conscience, ce qui fait de lui un être supérieur

II) La capacité à se représenter le monde et soi-même n’est pas réservée à l’homme et différentes formes de conscience se retrouvent chez d’autres animaux

III) Même si la réflexivité de la conscience est réservée à l’homme, cette spécificité n’est pas nécessairement une supériorité

I) Seul l’homme est un animal doté de conscience, ce qui fait de lui un être supérieur

A) Contrairement à l’animal qui est gouverné par l’instinct, l’homme est un être intelligent et conscient

Pour bien comprendre la spécificité de l’homme par rapport à l’animal, on peut remarquer que l’animal est guidé par son instinct alors que l’homme est capable de faire usage de son intelligence pour réagir aux situations. L’instinct est un ensemble d’automatismes transmis génétiquement et permettant de déclencher une réaction précise face à un stimulus donné

Expl : quand les bébés tortues sortent de leur œuf, elles vont directement vers la mer :

L’instinct permet aux animaux de survivre et de faire perdurer leur espèce par la reproduction. Contrairement aux animaux, l’homme semble avoir peu d’instinct et ses capacités semblent plutôt résulter d’un apprentissage (opposition inné/acquis). L’homme a dû développer son intelligence, cad sa capacité à analyser le réel et à l’utiliser pour certaines fins, pour survivre.

Mythe de Prométhée (raconté par Platon dans Protagoras) : l’homme n’ayant pas de capacité innée particulière, il ne survit que grâce au vol du feu, symbole de la technique, par Prométhée. Grâce à l’utilisation du feu, l’homme développe son intelligence, ce qui fait de lui un être supérieur par rapport aux autres animaux.

Dans cette vidéo de la série « Les grands mythes » sur Arte, le mythe de Prométhée est raconté en entier :

Texte 1 : Aristote, Parties des animaux

« Aussi ceux qui disent  que l’homme n’est pas bien constitué et qu’il est le moins bien doté des animaux (parce que dit-on, il est sans chaussures, il est nu et n’a pas d’armes pour combattre) sont dans l’erreur. Car les autres animaux n’ont chacun qu’un seul moyen de défense et il ne leur est pas possible de le changer pour un autre, mais ils sont forcés, pour ainsi dire, de garder leurs chaussures pour dormir  et pour faire n’importe quoi d’autre, et ne doivent jamais déposer l’armure qu’ils ont autour de leur corps ni changer l’arme qu’ils ont reçue en partage. L’homme au contraire, possède de nombreux moyens de défense, et il lui est toujours loisible d’en changer et même d’avoir l’arme qu’il veut quand il veut. Car la main devient griffe, serre, corne ou lance ou épée ou toute autre arme ou outil. Elle peut être tout cela, parce qu’elle est capable de tout saisir et de tout tenir. »

 Ainsi, selon Aristote, l’homme est un animal rationnel, capable de faire usage de sa main comme d’un outil multifonctionnel. Dans cet usage et par cet usage, il développe cette capacité qui fait de lui un être supérieur : la raison. De plus, cette supériorité est renforcée par le fait que seul l’homme est capable de réfléchir aux notions de bien et de mal, de juste et d’injuste. En ce sens, seul l’homme est doué de conscience morale, ce qui fait de lui un « animal politique » capable de penser le bien-être de la communauté dans laquelle il vit.

Poussant encore plus loin cette distinction entre instinct et intelligence, Rousseau, philosophe du Siècle des Lumières, souligne l’opposition entre l’instinct et la liberté. En effet, l’instinct est un ensemble de réactions programmées grâce auxquelles les animaux survivent. Au contraire, en l’homme, aucun comportement n’est programmé, rien n’est prévisible, ce qui fait de lui un être libre. Cette liberté fait de l’homme un être intelligent, capable de réfléchir et de développer ses facultés, mais elle peut aussi conduire l’homme à développer des passions destructrices et à tomber dans l’excès en oubliant ses besoins. En ce sens, Rousseau souligne l’ambivalence de la liberté humaine.

Texte 2 : Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes

« Je ne vois dans tout animal qu’une machine ingénieuse, à qui la nature a donné des sens pour se remonter elle-même et pour se garantir, jusqu’à un certain point, de tout ce qui tend à la détruire, ou à la déranger. J’aperçois précisément les mêmes choses dans la machine humaine, avec cette différence que la nature seule fait tout dans les opérations de la bête, au lieu que l’homme concourt aux siennes, en qualité d’agent libre. L’un choisit ou rejette par instinct, et l’autre par un acte de liberté; ce qui fait que la bête ne peut s’écarter de la règle qui lui est prescrite, même quand il lui serait avantageux de le faire, et que l’homme s’en écarte souvent à son préjudice. C’est ainsi qu’un pigeon mourrait de faim près d’un bassin rempli des meilleures viandes, et un chat sur des tas de fruits ou de grain, quoique l’un et l’autre pût très bien se nourrir de l’aliment qu’il dédaigne, s’il s’était avisé d’en essayer. C’est ainsi que les hommes dissolus se livrent à des excès qui leur causent la fièvre et la mort ; parce que l’esprit déprave les sens, et que la volonté parle encore, quand la nature se tait ».

B) Grâce au développement de son intelligence, l’homme est un être conscient

L’intelligence permet à l’homme d’analyser le réel, de la modifier et d’agir pour parvenir à ses fins, mais elle lui permet aussi d’analyser ses propres pensées et de se rendre compte qu’il pense au moment où il pense. Cette capacité s’appelle la conscience réflexive, et l’homme est le seul animal capable de la développer.

Dans l’histoire de la pensée occidentale, la philosophie de Descartes marque un tournant important car Descartes, avec sa découverte du « Je suis, j’existe » (cf. cours sur l’identité personnelle) réinvente la notion de « sujet ». Même s’il n’utilise pas le terme de « conscience », Descartes décrit très bien sa découverte de la 1e certitude par un mouvement de réflexion sur ce qu’il est en train de faire : doutant de tout, il ne peut pas douter qu’il est en train de douter de tout. De là, il en déduit qu’il est doté d’une âme qui pense, radicalement distincte de son corps qui est étendu dans l’espace (et qui est encore soumis au doute au moment de la découverte du « Cogito »). Cette découverte, et le dualisme qui en découle, conduisent Descartes à donner à l’homme une place exceptionnelle dans la hiérarchie des êtres : l’homme est le seul être en lequel les 2 substances (âme et corps) sont unies. Tous les autres êtres ne sont que des corps, étendus dans l’espace et composés de matière périssable, et dont le fonctionnement est comparable à celui des machines. Pour Descartes, les animaux ne peuvent pas être conscients d’eux-mêmes car ils ne pensent pas.

Texte 3 : Descartes, Lettre au Marquis de Newcastle du 23/11/1646

« (…) bien que Montaigne et Charon aient dit qu’il y a plus de différence d’homme à homme, que d’homme à bête, il ne s’est toutefois jamais trouvé aucune bête si parfaite, qu’elle ait usé de quelque signe, pour faire entendre à d’autres animaux quelque chose qui n’eût point de rapport à ses passions; et il n’y a point d’homme si imparfait, qu’il n’en use; en sorte que ceux qui sont sourds et muets, inventent des signes particuliers, par lesquels ils expriment leurs pensées. Ce qui me semble un très fort argument pour prouver que ce qui fait que les bêtes ne parlent point comme nous, est qu’elles n’ont aucune pensée, et non point que les organes leur manquent. Et on ne peut dire qu’elles parlent entre elles, mais que nous ne les entendons pas; car, comme les chiens et quelques autres animaux nous expriment leurs passions, ils nous exprimeraient aussi bien leurs pensées, s’ils en avaient. Je sais bien que les bêtes font beaucoup de choses mieux que nous, mais je ne m’en étonne pas car cela même sert à prouver qu’elles agissent naturellement et par ressorts, ainsi qu’une horloge, laquelle montre bien mieux l’heure qu’il est, que notre jugement ne nous l’enseigne.  »

C) Non seulement l’homme est le seul animal conscient, mais il est aussi le seul à marquer le monde par cette conscience

Etre conscient, c’est pouvoir analyser ses propres pensées et actes, et les reconnaître comme siens. Mais la conscience de l’homme n’existe pas seulement en son for intérieur. Elle cherche aussi à s’extérioriser et à aller poser sa signature sur le monde autour.

Le philosophe Hegel soulignera cette double dimension de la conscience de l’homme : la dimension théorique que l’homme découvre par introspection, et la dimension pratique que l’homme découvre par son activité et sa production qui viennent laisser leur marque sur le monde extérieur. Ainsi, l’homme étant le seul animal capable de ce double mouvement de conscience, le gouffre entre l’homme et les autres animaux se creuse et la supériorité de l’homme est renforcée.

Texte 4 : Hegel, Esthétique

« L’homme est un être doué de conscience et qui pense, c’est-à-dire que, de ce qu’il est, quelle que soit sa façon d’être, il fait un être pour soi. Les choses de la nature n’existent qu’immédiatement et d’une seule façon, tandis que l’homme parce qu’il est esprit, a une double existence ; il existe, d’une part, au même titre que les choses de la nature, mais d’autre part, il existe aussi pour soi, il se contemple, se représente à lui-même, se pense et n’est esprit que par cette activité qui constitue un être pour soi. Cette conscience de soi l’homme l’acquiert de deux manières : Primo théoriquement, parce qu’il doit se pencher sur lui-même pour prendre conscience de tous les mouvements, replis, penchants du cœur humain et d’une manière générale se contempler, se représenter ce que la pensée peut lui assigner comme essence, enfin se reconnaître exclusivement, aussi bien dans ce qu’il tire de son propre fond que dans les données qu’il reçoit de l’extérieur. Deuxièmement, l’homme se constitue pour soi par son activité pratique, parce qu’il est poussé à se trouver lui-même, à se reconnaître lui-même dans ce qui lui est donné immédiatement, dans ce qui s’offre à lui extérieurement. Il y parvient en changeant les choses extérieures, qu’il marque du sceau de son intériorité et dans lesquelles il retrouve ses propres déterminations. L’homme agit ainsi, de par sa liberté de sujet, pour ôter au monde extérieur son caractère farouchement étranger et pour ne jouir des choses que parce qu’il y retrouve une forme extérieure de sa propre réalité. Ce besoin de modifier les choses extérieures est déjà inscrit dans les premiers penchants de l’enfant ; le petit garçon qui jette qui jette des pierres dans le torrent et admire les ronds qui se forment dans l’eau, admire en fait une œuvre où il bénéficie du spectacle de sa propre activité. »

De la conscience pratique de l’homme naît par expl le domaine artistique, sphère qui semble réservée aux hommes

Cf. Kandinsky, Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier : «L’artiste doit avoir quelque chose à dire, car sa tâche ne consiste pas à maîtriser la forme, mais à adapter cette forme au contenu » :

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Kandinsky, Composition VII (1913)

Sur la conscience pratique, travail sur le tag comme moyen pour un groupe d’hommes d’extérioriser leur conscience collective et d’en laisser la marque sur le monde urbain.

Transition: Pour toutes les formes de conscience envisagées, la frontière entre l’homme et les autres animaux est-elle si claire ? Cela permet-il d’établir la supériorité absolue de l’homme ?

 II) La conscience existe à différents degrés et sous différentes formes et les animaux n’en sont pas totalement dépourvus

A) L’instinct de l’homme et l’intelligence de l’animal

Comme nous l’avons vu, de nombreux philosophes classiques distinguent l’homme et les autres animaux àpd leurs facultés respectives : l’intelligence d’un côté et l’instinct de l’autre. En réalité, la frontière entre les 2 n’est pas si claire.

D’une part, l’homme n’est pas complètement dépourvu d’instinct. Même si le mode de vie des hommes a eu tendance à s’éloigner progressivement du mode de vie naturel, les hommes ont encore certains comportements archaïques, relevant de mécanismes corporels (expl : réflexe de marche automatique à la naissance d’un bébé).

D’autre part, les animaux ont tous une certaine forme d’intelligence. Ils sont capables de réagir adéquatement face à des situations inattendues, et tous leurs comportements ne sont pas programmés à l’avance (expl : construction de barrages par les castors, utilisation d’outils pour atteindre la nourriture par les grands singes, résolution de problèmes complexes par les corbeaux).

Dans cette vidéo, on peut voir à l’oeuvre l’extraordinaire intelligence des corbeaux, dans leur utilisation d’outils mais aussi dans leur capacité à résoudre des problèmes complexes :

Pour un article scientifique complet sur l’intelligence animale:

http://lejournaldeschouettessavantes.cafe-sciences.org/articles/tag/intelligence-animale/

Il n’y a donc peut-être pas de différence de nature, mais seulement une différence de degré entre les facultés humaines et animales. Dans un discours déjà très moderne, Montaigne avait défendu cette idée dès le XVIe dans ses Essais. Accusant ses contemporains d’anthropocentrisme, il affirmait : « Ce n’est pas par un vrai discours, mais par une fierté folle et opiniâtreté, que  nous  nous  préférons  aux  autres  animaux  et  nous  séquestrons  de  leur  condition  et société ». En effet, pour Montaigne, il n’existe entre les hommes et les animaux qu’une différence de degré, et non une différence de nature qui justifierait l’exploitation des animaux par les hommes : «il y a plus de différence de tel homme à tel homme qu’il n’y a de tel homme à telle bête ». Le problème selon Montaigne est que l’homme a tendance à se penser supérieur aux autres animaux, et qu’il est réticent à sortir de ce préjugé car cela remettrait en cause son statut exceptionnel parmi les animaux.

Montaigne propose même une idée originale : c’est parce que les hommes savent qu’ils ressemblent aux autres animaux sur de nombreux points qu’ils creusent eux-mêmes un gouffre pour les séparer des autres. C’est àpd cette même idée que Montaigne critique l’ethnocentrisme, cad la tendance à penser que sa culture est supérieure aux autres, qui conduisait au XVIe les sociétés occidentales à dénigrer et à exploiter les sociétés dites « primitives » (cf. chapitre « Des cannibales » dans les Essais).

De sa pensée de la proximité entre les hommes et les animaux, Montaigne en tire une conclusion apparemment paradoxale : « il faut nous abêtir pour nous assagir », cad qu’il faut que les hommes observent et imitent certains comportements animaux et qu’ils ne s’enferment pas dans un monde de préjugés où règnerait leur prétention à être supérieurs.

Au XIXe, Darwin a complètement bousculé la vision traditionnelle du rapport homme-animal héritée de Descartes. Dans l’Origine des espèces, il montre que l’homme est un singe et que l’espèce humaine n’est pas l’aboutissement de l’évolution. En effet, beaucoup de penseurs de cette époque voyaient dans l’espèce humaine le sommet de l’évolution. En montrant que l’homme n’est qu’une espèce parmi d’autres, vouée à changer et même à disparaître, Darwin remet en cause la suprématie de l’homme.

Petite explication de la sélection naturelle selon Darwin :

Sur la généalogie de la théorie de l’évolution :

Pour combler ses lacunes sur la théorie de l’évolution :

B) L’empathie et l’altruisme : la conscience morale des animaux

L’éthologie, science qui étudie les comportements, a montré que certains animaux ont conscience des autres, et peuvent éprouver de la compassion pour leurs semblables. Les émotions qu’ils ressentent sont complexes, et ce n’est pas parce qu’ils ne parlent pas le langage humain qu’ils ne sont pas capables de comprendre et de communiquer avec autrui.

Pour une vidéo sur les études ethologiques sur les émotions animales :

C) La collaboration : la conscience collective des animaux

Certains animaux vivent en communauté (les loups, les fourmis, les abeilles, les moutons…) mais ne semblent pas avoir conscience de leur lien avec les autres. Littéralement, collaborer signifie « travailler ensemble ». Spontanément, on aurait tendance à dire que seuls les hommes, incapables de s’auto-suffire, sont capables de se répartir les tâches pour travailler ensemble, plus efficacement.

Cependant, en plus des cas des animaux qui vivent en groupe de manière très organisée, on constate que d’autres animaux sont capables d’aider les autres, même lorsque cela n’est pas directement dans leur intérêt de le faire (expl : chimpanzé qui adopte un bébé orphelin).

Il semble donc qu’en plus de posséder une certaine conscience d’eux-mêmes, certains animaux sont capables d’être conscients des autres, de faire preuve d’empathie, et de savoir qu’ils appartiennent à un groupe.

Ainsi, il est devenu impossible de réduire l’animal à une machine dépouvue de conscience et incapable de sentiment.

Pour compléter la réflexion sur le statut à accorder aux animaux, une conférence de l’éthologue Frans de Waal, auteur de nombreux ouvrages sur le sujet :

III) Même sous sa forme spécifiquement humaine, la conscience réflexive ne permet pas d’attribuer une supériorité absolue à l’homme par rapport aux autres animaux

 A) La conscience réflexive fait la grandeur mais aussi la misère de l’homme

Nous avons vu que les animaux ont une certaine conscience d’eux-mêmes, des autres et du monde dans lequel ils vivent, qu’ils sont doués d’une intelligence qui leur permet d’utiliser des outils et même de créer des œuvres, que leurs capacités de communication sont très développées et qu’ils ont même une certaine conscience morale. Cependant, il reste une forme de conscience qui est spécifique à l’homme : la conscience réflexive. En effet, il semble que seul l’homme soit capable, non seulement de penser, mais de penser qu’il pense.

Illustration de la réflexivité de la pensée dans les tableaux de Magritte de la série La condition humaine 

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Magritte, La condition humaine (1935)

Dans cette série de tableaux, Magritte montre que l’homme n’est pas passif dans sa perception du monde extérieur. Non seulement l’homme perçoit mais il a conscience qu’il perçoit, si bien qu’il sait qu’il voit le monde par l’intermédiaire de sa représentation.

Cette réflexivité permet à l’homme de se questionner sur lui-même et sur le monde et d’ouvrir sans cesse sa réflexion. Grâce à ce questionnement, l’homme cherche à comprendre toujours plus et à maîtriser le monde qui l’entoure. Cependant, la conscience réflexive mène aussi l’homme à se rendre compte de la fragilité du monde et de sa propre vie. L’angoisse et la peur de la mort qui en résultent excluent les hommes de l’apparente insouciance des animaux. En ce sens, la conscience réflexive peut éloigner l’homme du bonheur cad d’un bien-être stable qui lui permettrait de vivre pleinement.

Pascal s’est fortement intéressé à cette ambivalence de la conscience réflexive : elle permet à l’homme de comprendre et d’agir sur le monde, mais elle le conduit aussi à savoir que son existence a un terme. Obsédé par la peur de mourir, l’homme passe sa vie à regretter son passé et à appréhender son avenir, à tel point qu’il en oublie souvent de profiter du présent.

Texte 5 : Pascal, Pensées

« Nous ne nous tenons jamais au temps présent. Nous anticipons l’avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours, ou nous rappelons le passé pour l’arrêter comme trop prompt, si imprudents que nous errons dans les temps qui ne sont point nôtres et ne pensons point au seul qui nous appartient, et si vains que nous songeons à ceux qui ne sont rien, et échappons sans réflexion le seul qui subsiste. C’est que le présent d’ordinaire nous blesse. Nous le cachons à notre vue parce qu’il nous afflige, et s’il nous est agréable nous regrettons de le voir échapper. Nous tâchons de le soutenir par l’avenir et pensons à disposer les choses qui ne sont pas en notre puissance pour un temps où nous n’avons aucune assurance d’arriver. Que chacun examine ses pensées, il les trouvera toutes occupées au passé ou à l’avenir. Nous ne pensons presque point au présent, et si nous y pensons, ce n’est que pour en prendre la lumière pour disposer de l’avenir. Le présent n’est jamais notre fin. Le passé et le présent sont nos moyens, le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre, et nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais. »

Ainsi, selon Pascal, la conscience réflexive révèle l’ambiguïté de la condition humaine : elle fait la grandeur de l’homme mais elle expose aussi l’existence humaine à l’angoisse, à l’humiliation, à la fragilité, au regret, à la peur, au sentiment de l’absurde.

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Giacometti, Portrait de Jean Genet (1954)

Sur ce tableau, Giacometti représente l’ambivalence de la condition humaine : d’un côté, les couleurs sont sombres, les traits saillants, l’expression du visage absente, l’homme se confond avec le mur; mais de l’autre côté, l’homme est le personnage central, peint en légère contre-plongée, à la stature imposante et le gris plus clair à gauche suggère un peu de profondeur, de respiration, d’espoir.

Remarque : malgré cet aspect négatif qui réduit l’homme à l’angoisse, Pascal souligne le privilège de l’homme par rapport aux autres êtres.

« La grandeur de l’homme est grande en ce qu’il se connaît misérable. Un arbre ne se connaît pas misérable. C’est donc être misérable que de se connaître misérable ; mais c’est être grand que de connaître qu’on est misérable.

Penser fait la grandeur de l’homme. »

B) La conscience de l’homme doit le conduire à repenser son statut, son action sur le monde, et son rapport aux autres animaux

Si l’homme est le seul animal dont on peut dire qu’il est doté d’une conscience réflexive qui lui permet de connaître sa condition et sa place dans l’univers. Ce privilège lui donne une grande responsabilité par rapport aux autres êtres vivants, et particulièrement par rapport aux autres animaux. Indépendamment de la culture à laquelle il appartient, l’homme doit penser sa place et le respect qu’il doit accorder aux autres êtres. En pensant les rapports entre les hommes et les différents animaux, les hommes sont conduits à combattre l’anthropocentrisme et à repenser les rapports des hommes entre eux. Il ne s’agit pas pour autant de sacraliser les animaux mais de leur reconnaître une certaine dignité et de leur accorder certains droits. Même s’ils sont reconnus en France comme des « êtres doués de sensibilité » depuis 2005, ils sont encore dénigrés, voire maltraités (cf. vidéos récentes du traitement des animaux dans les abattoirs).

Réflexion d’une juriste spécialisée sur le droit des animaux :

D’autre part, les hommes ont tendance à oublier l’importance de la biodiversité et à ignorer les conséquences catastrophiques de la disparition de nombreuses espèces animales.

Sur les dangers pour tous de la disparition de la biodiversité :

Ainsi, l’homme, comme tous les autres animaux, a sans doute certaines spécificités. Ces spécificités lui donnent une supériorité par rapport aux autres animaux relativement à certains critères. Mais cette supériorité n’est pas absolue. En effet, relativement à d’autres critères (la résistance au froid, l’endurance, la capacité à respirer sous l’eau…), d’autres animaux sont supérieurs. L’homme a donc un devoir de respect à l’égard des autres espèces animales.

Pour penser la responsabilité de l’homme par rapport à son environnement, le philosophe Hans Jonas propose le concept de « principe de responsabilité ». L’homme doit penser au présent mais aussi à ce qu’il laisse aux générations futures (cf. Saint Exupéry : « Nous n’héritons pas de la terre de nos parents, nous l’empruntons à nos enfants »).

En un mot, philosophons!

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