La culture

 LA CULTURE ET LES CULTURES

Point de départ : Photographies de l’artiste Jimmy Nelson, qui travaille sur les tribus isolées du monde entier. Dans la tribu éthiopienne des Mursi, le labret est un des critères de beauté des femmes. Cela peut paraître étrange, voire rebutant pour nous.

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Jimmy Nelson, Before they pass away

 

D’où vient notre impression d’étrangeté, de fascination et parfois notre réflexe de dégoût et de rejet face aux différences culturelles ?

Pour bien le comprendre, il faut d’abord définir la culture.

Au sens large, la culture correspond à l’action de l’homme sur la terre, à ce que l’homme ajoute à la nature ou modifie dans la nature pour y habiter, pour la maîtriser, pour se l’approprier (latin « cultura » = « cultiver », « habiter »).

Hannah Arendt, La crise de la culture : « Le mot culture vient du latin colere –cultiver, demeurer, prendre soin, entretenir, préserver – et renvoie principalement au commerce de  l’homme avec la nature, au sens de culture et d’entretien de la nature en vue de la rendre propre à l’habitation humaine ».

En ce sens, on peut dire que l’homme est un être de culture puisqu’il est doté d’un ensemble de caractéristiques innées (nature) et qu’il acquiert d’autres caractéristiques au cours de son éducation et de son apprentissage (culture). Expl : l’obésité peut avoir des causes naturelles (facteurs génétiques) et/ou des causes culturelles (habitudes alimentaires et hygiène de vie). En l’homme, nature et culture sont tellement mêlées qu’il est très difficile de les distinguer.

Remarque : l’idée selon laquelle l’homme est un être de culture, contrairement aux autres animaux qui agissent seulement par instinct, nous vient notamment du mythe grec de Prométhée (c’est le feu, symbole de la culture, qui permet aux hommes de survivre)

En un sens plus restreint, la culture désigne un ensemble d’habitudes, de mœurs et de règles qui régissent la vie d’un groupe social donné. En ce sens, il existe une grande diversité des cultures et celles-ci varient en fonction du lieu, de l’époque, du peuple, du milieu de vie… Les différences culturelles sont très nombreuses et nous avons tous tendance à valoriser notre propre culture. En effet, comme nous naissons et grandissons dans une société donnée, nous avons souvent l’impression que nos habitudes culturelles sont en fait naturelles (expl : nous avons l’impression qu’il est naturel d’avoir faim à midi, alors que cela résulte d’une acquisition culturelle, nous avons l’impression qu’il est naturel de vivre en couple hétérosexuel alors que ce modèle de société est culturel).

En ce sens, la culture s’oppose à la sauvagerie, à la barbarie et souvent nous jugeons barbare celui qui n’a pas les mêmes habitudes culturelles que nous (expl : les vietnamiens qui mangent des fœtus de canard, certains peuples qui chassent à l’arc, …).

=> Problématique: si la culture est l’ensemble des moyens par lesquels les hommes habitent le monde, comment expliquer la diversité des cultures, entre les sociétés mais aussi au sein même d’une société ? Y a-t-il des sociétés ou des hommes plus « civilisés » que d’autres ?

  • L’idée de progrès
  • La comparaison des cultures entre elles et la tendance à l’ethnocentrisme
  • Le relativisme culturel et la richesse à découvrir l’autre

 I) L’idée de progrès : la hiérarchisation des cultures

A) L’image de la flèche du progrès

Si on oppose schématiquement la culture et la nature, alors on peut dire que plus un peuple s’éloigne de la nature, plus il est cultivé. Expl : en un lieu donné, construire une cabane avec le bois autour pour se protéger de la pluie est plus « naturel » que construire une maison en béton par un alliage complexe entre des minéraux et un liant. En effet, construire une maison en béton semble exiger plus de connaissance et de savoir-faire que construire une cabane. De plus, la maison en béton résiste mieux et protège mieux des intempéries que la cabane.

En ce sens, la culture se développe vers du « toujours mieux » : nous vivons de façon toujours plus confortable, nos transports vont de plus en plus vite, nos moyens de communication sont de plus en plus perfectionnés, notre accès à la connaissance est de plus en plus facilité, notre espérance de vie augmente de plus en plus…

Pour décrire cette courbe ascendante, on utilise le terme de « progrès ». Pour beaucoup de penseurs aux XVIIe et XVIIIe, le progrès est fabuleux car il permet aux hommes de ne plus dépendre des aléas de la nature (expl : développement des techniques de construction, de la qualité des vêtements, …) et de vivre dans de meilleures conditions (expl : le développement de la médecine permet d’éradiquer certaines maladies, de soulager certains maux, d’augmenter l’espérance de vie…).

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Image schématique de l’idée de progrès

Texte de Pascal, Préface au Traité du vide

« N’est-ce pas indignement traiter la raison de l’homme, et la mettre en parallèle avec l’instinct des animaux, puisqu’on en ôte la principale différence, qui consiste en ce que les effets du raisonnement augmentent sans cesse, au lieu que les autres demeurent toujours dans un état égal ? Les ruches des abeilles étaient aussi bien mesurées il y a mille ans qu’aujourd’hui, et chacune d’elles forme cet hexagone aussi exactement la première fois que la dernière. Il en est de même de tout ce que les animaux produisent par ce mouvement occulte. La nature les instruit à mesure que la nécessité les presse ; mais cette science fragile se perd avec les besoins qu’elles en ont. Comme ils la reçoivent sans étude, ils n’ont pas le bonheur de la conserver ; et toutes les fois qu’elle leur est donnée, elle leur est nouvelle, puisque la nature n’ayant pour objet que de maintenir les animaux dans un ordre de perfection bornée, elle leur inspire cette science nécessaire toujours égale, de peur qu’ils ne tombent dans le dépérissement, et ne permet pas qu’ils y ajoutent, de peur qu’ils ne passent les limites qu’elle leur a prescrites. Il n’en est pas de même de l’homme qui n’est produit que pour l’infinité. Il est dans l’ignorance au premier âge de sa vie ; mais il s’instruit sans cesse dans son progrès : car il tire avantage non seulement de sa propre expérience, mais encore de celle de ses prédécesseurs, parce qu’il conserve toujours dans sa mémoire les connaissances qu’il s’est une fois acquises, et que celles des anciens lui sont toujours présentes dans les livres qu’ils en ont laissés. »

Dans ce texte, on peut voir que le progrès de la culture permet de s’éloigner de la nature et que, plus une société progresse, plus elle se civilise, plus elle maîtrise la nature.

De même, on pourrait dire que plus un individu grandit en étant éduqué, plus il s’éloigne de sa condition animale, plus il développe sa raison et plus il est libre de devenir et de faire ce qu’il veut. En ce sens, un individu éduqué aura un parcours social supérieur et une vie d’une meilleure qualité qu’un individu pas, peu ou mal éduqué.

On pourrait donc en conclure que les cultures n’ont pas la même valeur, et que plus une culture est loin sur la flèche du progrès, plus elle marque sa supériorité par rapport aux autres.

B) Critiques de cette image du progrès

Cependant, cette vision du progrès n’est-elle pas illusoire, voire dangereuse ? Peut-on vraiment dire que plus une société se civilise, plus elle gagne en valeur ? Peut-on dire que la maîtrise de la nature, qui va parfois jusqu’à sa destruction, est un critère de supériorité d’une culture par rapport à une autre ?

L’image du progrès comme une flèche ascendante est illusoire et caricaturale. On peut y faire plusieurs objections :

  • Les avancées techniques, technologiques et scientifiques ne nous permettent pas forcément de vivre mieux, d’être plus heureux ni d’être plus sages (expl : le développement des techniques de combat et le perfectionnement des armes a considérablement augmenté le risque de guerres, l’ampleur des combats et le pouvoir de destruction des ennemis ; expl : la réduction du temps de trajet entre 2 endroits ne nous permet pas d’avoir plus de temps pour soi ; expl : le développement de l’accès à la connaissance et à l’information n’empêche pas l’ignorance ni les préjugés…).
  • La maîtrise et l’éloignement de la nature peuvent conduire une culture à être plus dépendante d’autres facteurs (expl : l’agriculture de masse par l’utilisation de produits chimiques conduit les sociétés occidentales à ne plus savoir cultiver sans pesticide, l’utilisation de moyens de transports polluants a conduit à une dégradation générale des conditions de vie…).

Cependant, il ne faut pas non plus diaboliser les développements techniques et scientifiques d’une société et appeler à un retour à un mode de vie proche de la nature. Ces développements ont des effets positifs indéniables mais toute invention technique et scientifique peut être bien ou mal utilisée (expl : on peut utiliser le principe de la fusion nucléaire pour produire une énergie moins polluante ou l’utiliser pour fabriquer des bombes plus puissantes, on peut utiliser les robots pour soulager les hommes de certaines tâches difficiles, mais on peut aussi les utiliser comme « robots tueurs », on peut utiliser son smartphone pour chercher plus d’informations mais on peut aussi l’utiliser pour diffuser de fausses informations…).

Une conférence du physicien Etienne Klein sur l’idée de progrès:

Si le progrès et l’éloignement par rapport à la nature ne sont pas des critères pour dire d’une culture qu’elle est supérieure à une autre, quel critère peut-on utiliser pour comparer les cultures entre elles ?

 II) La comparaison des cultures et la tendance à l’ethnocentrisme

A) La construction d’une culture par rapport aux autres cultures

Il existe une grande diversité des cultures dans le monde, et chacune de ces cultures a évolué au cours du temps.

Expl de la symbolique des couleurs : en occident, la couleur du deuil est le noir ou le gris alors qu’en orient c’est le blanc. Au sein de la culture occidentale, le bleu a longtemps été la couleur des femmes et elle est devenue une couleur masculine au XXe siècle.

Un petit aperçu de l’histoire du rouge racontée par Michel Pastoureau :

 

Dans notre histoire, la notion de culture s’est développée par opposition à ce qu’elle n’est pas et qu’elle appelle le « barbare » ou « sauvage » (par expl, lorsqu’on voit une photo d’indiens très légèrement vêtus avec leurs arcs pour chasser, on a tendance à les juger « sauvages »). Dans l’Antiquité, les Grecs nommaient « barbares » tous les individus n’appartenant pas à la culture greco-romaine. En ce sens, les esclaves n’étaient même considérés comme des êtres humains. Lorsque les Occidentaux sont allés conquérir les autres continents, l’Afrique et l’Amérique notamment, ils ont jugé « sauvages » les individus qu’ils rencontraient. Constatant cette « sauvagerie », ils ont décidé de les forcer à « entrer dans la civilisation », en leur imposant la religion chrétienne par exemple. La colonisation a donc été justifiée comme un processus nécessaire pour sortir ces peuples de la sauvagerie et de l’animalité.

Dès le XVIe siècle, Montaigne déplore les effets destructeurs de la colonisation. A son époque, les européens partaient coloniser l’Amérique et imposer la culture occidentale au nom de la « barbarie » des peuples sur place. Or, Montaigne remarque que ce terme « barbare » ne permet pas de justifier la colonisation car « chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage ». En d’autres termes, on appelle « barbare » ce qui est différent de nous (expl des chinois qui mangent du chien). En effet, on trouve toujours « étrange » ce qui est « étranger ».

B) La tendance à l’ethnocentrisme

S’il est difficile de comparer les cultures entre elles, c’est bien parce que nous avons du mal à reconnaître et à comprendre la différence (pour nous, il est absurde de se lever à 4h du matin pour préparer le bouillon du petit déjeuner comme au Vietnam, de manger à 15h l’après-midi comme en Espagne, de porter un voile pour aller dans les lieux publics comme dans les pays arabes, ou de mettre le plus de colliers possibles pour allonger son cou comme dans certaines tribus africaines).

Le philosophe ethnologue Claude Levi-Strauss appelle « ethnocentrisme » la tendance que nous avons à valoriser notre propre culture par rapport aux autres : c’est « la tendance plus ou moins consciente à privilégier les valeurs et les formes culturelles du groupe ethnique auquel on appartient ». Cette tendance nous conduit à prendre notre propre culture comme modèle, et à juger toutes les autres cultures inférieures. Par exemple, on peut voir cette tendance dans la classification dans nos livres de « pays sous-développés », « en voie de développement » et « développés ».

De plus, au sein d’une même culture, on remarque qu’il existe une hiérarchie entre les niveaux culturels des personnes. Comme le remarque Bourdieu, la « culture légitime », celle de la classe sociale supérieure, est la seule qui est reconnue et valorisée.

 

III) Le relativisme culturel et la découverte de l’autre

A) La classification des cultures

Un des points importants de la démarche ethnologique, c’est de montrer que les cultures sont toutes différentes et qu’elles évoluent différemment au cours du temps. Ces différences font leur spécificité et correspondent au moins en partie au rapport qu’entretient un peuple avec la nature et avec les autres peuples. Par expl, dans une ville comme Dubai, on peut voir que les hommes montrent leur domination de la nature et leur immense richesse par rapport aux autres pays autour.

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La ville de Dubai vue du ciel

Au contraire, au Japon, hors des grandes villes, les maisons cherchent plutôt à se fondre dans le paysage pour que la nature puisse garder sa place.

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Maison de type japonais

Expl : comparaison jardin français, anglais, andalou, italien, japonais

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Jardin à la française
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Jardin à l’anglaise
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Jardin andalou
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Jardin à l’italienne
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Jardin japonais

En constatant la diversité des cultures et les nombreux points sur lesquels elles diffèrent (histoire, géographie, religion, arts, coutumes, langages…), on peut voir qu’il est impossible de dire qu’une culture est absolument supérieure à une autre. D’ailleurs, aujourd’hui, ce n’est pas parce que la culture occidentale (américaine surtout) tend à envahir le monde entier que cette culture est supérieure aux autres.

Par contre, on peut comparer les cultures relativement à certains critères.

Expl : relativement au critère de l’industrialisation et du niveau technologique, la culture occidentale est supérieure à la culture éthiopienne. Mais relativement à l’endurance, à la résistance au chaud et à la défense contre les animaux sauvages, la culture éthiopienne est supérieure à la culture occidentale. Différence absolu/ relatif

Texte de Levi-Strauss, Race et Histoire

« La civilisation occidentale s’est entièrement tournée, depuis deux ou trois siècles, vers la mise à la disposition de l’homme de moyens mécaniques de plus en plus puissants. Si l’on adopte ce critère, on fera de la quantité d’énergie disponible par tête d’habitant l’expression du plus ou moins haut degré de développement des sociétés humaines. La civilisation occidentale, sous sa forme nord-américaine, occupera la place de tête, les sociétés européennes venant ensuite, avec, à la traîne, une masse de sociétés asiatiques et africaines qui deviendront vite indistinctes. Or ces centaines ou même ces milliers de sociétés qu’on appelle « insuffisamment développées » et « primitives », qui se fondent dans un ensemble confus quand on les envisage sous le rapport que nous venons de citer (et qui n’est guère propre à les qualifier, puisque cette ligne de développement leur manque ou occupe chez elles une place très secondaire), elles se placent aux antipodes les unes des autres ; selon le point de vue choisi, on aboutirait donc à des classements différents. Si le critère retenu avait été le degré d’aptitude à triompher des milieux géographiques les plus hostiles, il n’y a guère de doute que les Eskimos d’une part, les Bédouins de l’autre, emporteraient la palme. »

Un aperçu global de l’oeuvre Race et Histoire :

 B) La richesse de la découverte d’autres cultures

Il est à la fois très difficile et très enrichissant de comprendre les différences culturelles sans juger.

En théorie, on admet qu’il existe des peuples qui vivent différemment de nous mais, en pratique, il est très dur de changer notre mode de vie pour adopter une culture complètement différente. En effet, nous avons été éduqués dans le cadre d’une certaine culture et cette culture nous a donnés des valeurs, des repères, des habitudes qui fondent notre identité.

Même s’il nous est peut-être impossible de nous libérer de notre propre culture, aller à la rencontre de l’autre peut permettre de bousculer un peu nos modes de pensées, de questionner nos habitudes et nos préjugés. La rencontre et le partage avec l’autre peut ouvrir notre réflexion et nous inciter à être plus tolérant et plus ouvert d’esprit. Il ne s’agit pas de nous détacher complètement de notre culture mais de comprendre que les cultures, loin de s’exclure mutuellement, sont complémentaires et peuvent venir enrichir notre vision du monde.

Sur l’importance de lire Levi-Strauss aujourd’hui :

En un mot, philosophons!

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