Narcissisme de l’autoportrait

Le narcissisme et la représentation de soi : Rousseau, Courbet et les selfies

Mythe de Narcisse raconté dans les Métamorphoses d’Ovide et peint par Caravage

Narcisse est d’une beauté exceptionnelle et d’un caractère très fier. Il rejette de nombreux prétendants et prétendantes, notamment la nymphe Echo. Une des victimes demande vengeance, et la déesse Nemesis exauce son vœu. Un jour, alors qu’il boit dans une source après avoir chassé, il s’arrête sur son reflet et en tombe amoureux. Il reste des jours à se contempler, et désespère de ne pouvoir attraper sa propre image. Prise de pitié, Echo répète près de lui « Hélas, hélas ».  Il finit par mourir de désespoir. A l’endroit où son corps est retiré, poussent des fleurs blanches que l’on appelle les narcisses.

Illustration par Caravage dans le tableau éponyme : Narcisse admire son reflet dans l’eau, le personnage et son reflet, formant, autour du point central du genou et de l’axe de symétrie de la surface de l’eau, un oeil.

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Caravage, Narcisse (1598)

 

Jean-Jacques Rousseau, Les Confessions, « Incipit » (1765)

« Je forme une entreprise qui n’eut jamais d’exemple, et dont l’exécution n’aura point d’imitateur. Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature ; et cet homme, ce sera moi.

Moi seul. Je sens mon cœur, et je connais les hommes. Je ne suis fait comme aucun de ceux que j’ai vus ; j’ose croire n’être fait comme aucun de ceux qui existent. Si je ne vaux pas mieux, au moins je suis autre. Si la nature a bien ou mal fait de briser le moule dans lequel elle m’a jeté, c’est ce dont on ne peut juger qu’après m’avoir lu.

Que la trompette du jugement dernier sonne quand elle voudra, je viendrai, ce livre à la main, me présenter devant le souverain juge. Je dirai hautement : Voilà ce que j’ai fait, ce que j’ai pensé, ce que je fus. »

Dans ce texte initial, Rousseau présente son projet. Son ton est vaniteux et son sujet clairement explicité : « Moi seul ». La 1e personne est omniprésente dans ce texte, souvent répétée sous ses différentes formes (« je, moi, mon, me ») ou sous forme d’anaphore (« ce que j’ai, ce que j’ai, ce que je »). Contrairement à Montaigne qui, dans les Essais, présente la condition humaine à travers sa personne, Rousseau souligne ici l’importance de sa propre personne. D’ailleurs, il se distingue clairement des autres hommes (« je suis autre »), allant jusqu’à s’opposer à eux dans une formule chiasmique : « Je sens mon coeur, et je connais les hommes ».  A la fin du texte, il n’hésite pas à se représenter face à Dieu pour être jugé.

Dans cet incipit, on peut remarquer un certain égocentrisme et la solitude de l’auteur.

Gustave Courbet, Autoportraits

Dans ses nombreux autoportraits, Courbet sait montrer et jouer avec sa beauté physique.

Dans l’Autoportrait avec un chien noir (1844), Courbet adopte un style pictural romantique (représentation de l’individu et de ses sentiments, inscription de l’homme dans le paysage). Il se représente comme un dandy, avec des vêtements élégants et un chien noir à la mode. Son regard exprime l’auto-satisfaction, laquelle est renforcée par la vision de l’artiste en contre-plongée. Courbet nous regarde de haut, avec un petit sourire suggéré.

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Courbet, Autoportrait au chien noir (1844) 

Dans L’homme blessé (1e version en 1844), Courbet se représente avec une femme couchée sur son épaule, dans un moment d’amour passionnel. Par le cadrage en contre-plongée, le regard se porte à nouveau sur l’artiste en train de faire usage de ses charmes. Après une rupture difficile, Courbet efface la femme et se représente blessé, meurtri, ce qui n’enlève rien à sa beauté.

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Courbet, L’homme blessé (1844)

 

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Courbet, L’homme blessé 1e version, radiographie 

Dans l’Autoportrait avec une pipe (1850), l’artiste se représente encore plus proche du spectateur, qu’il regarde de haut à nouveau.

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Courbet, Autoportrait avec pipe (1850)

Autre manifestation de l’orgueil de Courbet dans Bonjour Monsieur Courbet (1854) : dans ce tableau, Courbet représente un grand mécène avec son valet et son chien, qui viennent à sa rencontre. Courbet apparaît au 1e plan, plus grand, plus fort et plus fier que son protecteur. Le titre du tableau donne clairement l’importance à sa propre personne.

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Courbet, Bonjour Monsieur Courbet (1854)

Réflexion philosophique sur l’image et la connaissance de soi : aujourd’hui, le selfie est partout sur les réseaux sociaux. Cette photo de soi prise par soi consiste à se mettre en scène dans un certain contexte pour montrer et diffuser son image.

La star de télé-réalité Kim Kardashian a même osé publier un livre avec 448 pages de  selfies. Ce livre est humblement intitulé « Selfish », mot renvoyant directement à l’egocentrisme de cette personne.

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Kim Kardashian, Selfish (2015)

Le selfie a-t-il pour but de nous permettre de mieux nous connaître nous-mêmes, ou seulement de nous présenter aux autres sous un angle glorifiant ? Les selfies ne manifestent-ils pas notre narcissisme ?

En un mot, philosophons!

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