Liberté et licence

                                                                          LA LIBERTE 

INTRODUCTION :

Aux Etats-Unis, certains défendent le droit de faire usage de leurs armes au nom de leur liberté.

Un exemple de vidéo publicitaire pour vanter le port d’armes au nom de la sécurité et de la liberté individuelle :

Mais un mauvais usage de ces armes provoque une centaine de morts accidentelles par jour. On voit donc que l’exercice de la liberté des uns se fait ici au détriment de la liberté, et même de la vie des autres.

Un rappel du débat sur le port d’armes ravivé après la tuerie dans un lycée de Parkland en février 2018 :

Ainsi, à 1e vue, être libre c’est pouvoir faire ce qui nous plait, sans contrainte ni obstacle. Mais l’homme ne vit pas seul et, parfois, ce qui nous plaît ne plaît pas à autrui, et nous entrons alors dans un conflit qui se résout souvent par la force.

=> Problématique : être libre, est-ce faire tout ce qui nous plaît ? En d’autres termes, est-on libre si on ne rencontre aucun obstacle dans l’assouvissement de nos désirs ou doit-on admettre que certaines limites nous permettent de vivre ensemble et d’éviter le règne de la force ?

I) Etre libre, c’est faire tout ce qui nous plaît, sans exception

Au sens 1e et physique du terme, la liberté est l’absence d’obstacle ou de contrainte (expl : il y a liberté de circulation entre 2 pays lorsque la frontière ne présente pas d’obstacle au passage). La liberté physique est donc la possibilité de se mouvoir dans l’espace sans être ni orienté ni empêché dans ses mouvements (expl : un prisonnier n’est pas libre au sens physique car il ne peut pas aller où il veut quand il veut).

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Oeuvre de street art, Paris

De plus, être libre, c’est pouvoir assouvir tous ses désirs sans aucune restriction ni frustration. Pour cela, il faut avoir le plus de force, le plus de pouvoir, le plus d’argent possible. En ce sens, seuls ceux qui commandent, qui dirigent les autres sont libres puisque eux seuls n’ont à obéir à personne.

Dans le Gorgias de Platon, le personnage de Calliclès défend la thèse selon laquelle seule l’élite dirigeante est libre. Selon lui, les dirigeants doivent profiter pleinement de leur position pour jouir de tous les plaisirs possibles. Il serait d’ailleurs absurde qu’ils n’en jouissent pas, même si cela se fait au détriment de la masse du peuple qui leur obéit. Ainsi, pour Calliclès, la vraie liberté est la liberté totale : être libre, c’est  « vivre dans la jouissance, éprouver toutes les formes de désirs et les assouvir (…) Si on veut vivre comme il faut, on doit laisser aller ses propres passions, si grandes soient-elles, et ne pas les réprimer ».

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Jerome Bosch, Le jardin des délices (partie centrale du triptyque), 1503

Dans ce triptyque, Bosch représente sur le panneau gauche le Paradis, sur le panneau droit l’Enfer, et sur le panneau central, la vie terrestre. On y voit la vie des hommes débridée, dans l’opulence et la luxure, assouvissant aveuglément tous leurs désirs.

Pour Bosch, fervent croyant, cette représentation est l’occasion de porter un jugement moral sur l’attitude des hommes.

 

 

Ainsi, selon Calliclès, la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui nous plaît sans aucune restriction, ce qui implique qu’elle ne concerne que celui qui n’obéit à personne d’autre. La liberté serait donc réservée à l’élite dirigeante, et elle s’exercerait au détriment d’autrui. Cela implique donc une vision tyrannique de la vie collective car seul celui qui dirige peut faire vraiment tout ce qui lui plaît. Cette vision de la liberté est donc restreinte à un individu et limitée dans le temps car le tyran peut à tout moment se faire renverser par un nouvel individu devenu plus fort que lui.

Transition : la conception de la liberté comme possibilité de faire tout ce qui nous plaît est donc restrictive mais n’est-elle pas aussi contradictoire ?

 II) Si tout le monde fait tout ce qui lui plaît sans restriction, plus personne n’est vraiment libre

Si rien ne restreint personne dans l’assouvissement de ses désirs, alors l’exercice des libertés individuelles risque de s’entrechoquer et les individus risquent de rentrer dans un conflit qui, sans instance politique, ne peut se résoudre que par la violence.

Dans Le Citoyen, Hobbes invente une fiction pour décrire la situation dans laquelle vivraient les hommes s’ils n’étaient pas soumis à l’autorité de l’Etat. Dans cet « état de nature », les hommes exerceraient tous leur liberté naturelle à faire tout ce qui leur plaît. Le problème est que les libertés empiètent les unes sur les autres et que, les conflits se réglant toujours par la violence, tous ont en permanence peur d’être tués. Ainsi, si tout le monde fait tout ce qui lui plaît, la situation est celle d’une « guerre de tous contre tous », dans laquelle tout le monde a peur et plus personne n’est finalement libre. On arrive donc à une contradiction : la liberté sans restriction (que l’on appelle la « licence ») est une absence de liberté.

Une des conditions pour que nous puissions vivre en sécurité et être libre ensemble est donc le respect de la liberté d’autrui. Cela passe par l’obéissance à certaines lois établies pour garantir de bonnes conditions à la vie commune. Pour que je sois pleinement libre, il faut que l’exercice de ma liberté ne se fasse pas au détriment de la liberté d’autrui. Telle est la liberté au sens politique : comme le dit l’article IV de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et du Citoyen, «La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ».

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Ainsi, la conception de la liberté comme licence aboutit à une contradiction lorsqu’on pense la liberté au niveau collectif mais aussi au niveau individuel. Nous avons vu que, dans la Gorgias, Calliclès affirme qu’être libre, c’est assouvir tous ses désirs sans exception. Socrate va s’opposer radicalement à cette conception de la liberté sans limites car l’assouvissement de tous nos désirs est comme un tonneau percé qui ne peut jamais se remplir : lorsqu’un désir est assouvi, un nouveau renaît et ainsi à l’infini (cf. cours sur le bonheur). Pour Socrate, l’homme qui assouvit tous ses désirs n’est pas libre mais est au contraire l’esclave de ses passions.

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Jonh William Waterhouse, Les Danaïdes, 1903

Sur ce tableau, Waterhouse représente des figures de la mythologie grecque, les Danaïdes, condamnées aux Enfers à remplir indéfiniment d’eau des tonneaux percés.

 

 

 

 

 

 

 

Transition : Ainsi, la conception de la liberté totale comme possibilité de faire tout ce qui nous plaît aboutit à une négation de la liberté. Ne doit-on pas alors envisager une conception plus nuancée et raisonnable de la liberté, qui prenne en compte la nécessité de certaines contraintes, obligations (expl : obligation morale de respecter autrui) et lois (expl : accepter de ne pas porter atteinte à la propriété d’autrui) pour s’exercer pleinement ?

 III) Etre libre, c’est bien faire ce qui nous plaît, mais dans le respect des droits et de la vie d’autrui

Si on renonce à une conception de la liberté totale, on peut envisager qu’il existe des degrés de liberté. En effet, je ne peux être pleinement libre que si je laisse autrui être libre.

L’homme étant incapable de vivre seul, il a tout intérêt à vivre en communauté. Cette vie sociale lui fait perdre la possibilité de faire tout ce qui lui plaît, mais elle lui permet de gagner en qualité de vie et de ne pas vivre dans la méfiance par rapport à l’autre.

Naïvement, on pourrait avoir l’impression que toute autorité va à l’encontre de notre liberté, mais ce serait oublier que les autorités politiques ont en théorie pour but de s’assurer du bien-être commun (expl : je peux avoir l’impression de ne pas être libre parce que je ne peux pas voler la maison de mon voisin sans être puni mais cette interdiction est en même temps la condition pour que personne ne puisse voler ma maison sans être puni lui aussi). Ainsi, les lois ne sont pas des obstacles mais plutôt des conditions de possibilité de notre liberté (expl : si une loi m’interdit de fumer dans un lieu public, ce n’est pas pour m’embêter, mais c’est pour que les non-fumeurs n’aient pas à subir les conséquences négatives sur leur santé de la fumée de cigarette).

En plus des lois politiques, il existe aussi des règles sociales qui semblent être des contraintes mais qui en réalité me permettent d’être pleinement libre (expl : si le retard en cours est puni, c’est par respect du professeur mais aussi pour m’apprendre la règle sociale de la ponctualité).

On voit ici que la liberté relève peut-être d’un apprentissage. En effet, accepter de faire des concessions dans l’exercice de sa liberté peut nous sembler paradoxal. La maîtrise de soi et la considération d’autrui peuvent apparaître comme des obstacles à la liberté. Seule l’éducation peut nous permettre de nous rendre compte que les lois politiques, les obligations sociales, les règles morales sont des conditions de possibilité de notre liberté.

Dans ses Réflexions sur l’éducation, Kant souligne ce paradoxe : pour qu’un enfant puisse devenir un homme libre, il faut d’abord qu’il ait appris à obéir. La contrainte et l’obéissance jouent donc un rôle dans l’apprentissage de la liberté car s’habituer à obéir à autrui, c’est apprendre à se contrôler soi-même : « je dois habituer l’élève à tolérer une contrainte pesant sur sa liberté, et en même temps, je dois le conduire à faire un bon usage de sa liberté ». Mais l’obéissance ne doit pas être aveugle et immorale mais raisonnable et morale. Ici, la contrainte n’est pas la servitude mais l’occasion pour l’enfant d’apprendre à maîtriser et à limiter ses désirs, pour ne pas souffrir plus tard de devoir renoncer à un plaisir (expl : refuser à un enfant de lui acheter un cadeau un peu avant Noël, c’est lui apprendre à être frustré et à attendre pour peut-être en profiter plus encore après).

Enfin, certaines contraintes peuvent être un tremplin pour l’exercice de notre liberté (expl : être dépendant du transport de ses parents pendant plusieurs années permet de profiter de la sensation de libération lorsqu’on obtient le permis de conduire). En art, les contraintes peuvent être un tremplin pour la créativité (expl : un sculpteur peut choisir un matériau comme le marbre pour révéler son talent en se heurtant à la difficulté). Cf. Baudelaire (à propos des contraintes formelles en poésie) : « Parce que la forme est contraignante, l’idée jaillit plus intense ».

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Nadar, Portrait de Charles Baudelaire, vers 1900

Ce portrait illustre bien la citation de Baudelaire et érige la photographie au rang d’art. Lorsque Nadar prend ce portrait, la photographie en est à ses balbutiements, et les contraintes techniques pour la pratiquer sont nombreuses, notamment le cadrage difficile et le très long temps de pause. Le portrait qui est né de cette utilisation des contraintes techniques est d’une grande intensité.

 

 

 

 

 

CONCLUSION :

Etre libre est donc faire ce qui nous plaît mais pas « tout » ce qui nous plait. En effet, certaines choses paraissent plaisantes mais ne le sont pas en réalité et peuvent nous rendre dépendants. De plus, pour être pleinement libre sans craindre d’être attaqué par autrui et en ayant une attitude morale, il faut que je respecte la liberté et les droits d’autrui. Cette liberté au sens moral et politique nous permet de vivre ensemble, et même de bien vivre ensemble.

Ainsi, la véritable liberté n’est une liberté totale, mais un certain degré de liberté où l’on accepte, pour pouvoir exercer pleinement notre liberté et pour accomplir notre moralité, certaines contraintes, règles, obligations et lois.

En un mot, philosophons!

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