L’art

                                                                          L’ART

Passage de l’art roman à l’art gothique au XIIe siècle : changements artistiques, théologiques et spirituels liés à une invention technique : les arcs en croisée d’ogives.

Lien entre l’histoire de l’art et les progrès techniques et scientifiques : l’art évolue grâce aux inventions techniques (expl : les impressionnistes partent peindre en extérieur grâce à l’invention du tube de peinture, la photographie devient un art reconnu comme tel avec les progrès techniques des appareils-photos et techniques de développement), et les artistes, par leurs créations, inventent des techniques et motivent la recherche de nouvelles techniques (expl : autour de -20 000, les hommes de Cro-magnon à Lascaux pensent à mélanger leurs pigments avec de la graisse de renne pour que leur peinture dure plus longtemps; vers 1895, Louis et Auguste Lumière inventent de nouvelles techniques pour enregistrer des images photographiques en mouvement sur un film…. ).

Mais question plus large : l’art peut-il se passer de maîtrise technique ?

En architecture, il semble impossible d’être artiste sans avoir acquis un certain nombre de techniques (connaissance des matériaux, de leur résistance, du jeu des forces…). Il semble que ce soit aussi le cas dans les autres arts (expl : impossible de composer ou de jouer un morceau de musique sans connaître le solfège, impossible de sculpter sans connaître la résistance et la friabilité des matériaux).

Technique = ensemble de règles et de pratiques permettant d’obtenir un résultat visé = savoir-faire (aspect théorique + aspect pratique).

Si l’art est équivalent à la technique, alors tout le monde peut devenir artiste en apprenant des techniques et en s’exerçant.

Cependant, l’œuvre d’art ne semble pas pouvoir se réduire à un produit technique. Il y a qqch en plus dans l’art. Mais quel est ce qqch en plus ? Est-ce du talent ? du génie ? de l’imagination ? de l’originalité ? de la beauté? ou plus simplement la reconnaissance sociale et la présentation dans un certain cadre (par expl le musée pour la sculpture ou la peinture)? …

Si ce « qqch en plus » est de l’ordre du talent inné ou du génie, alors seuls certains individus en sont dotés, et tout le monde ne peut pas être artiste. Seuls certains élus, esprits exceptionnels nommés « génies » peuvent le devenir et être reconnus comme tels. En ce sens, on peut dire que la maîtrise du langage musical n’a pas suffi à Bach pour composer ses Contrepoints ou L’art de la fugue ; la maîtrise des techniques picturales n’a pas suffi à Leonard de Vinci pour peindre Sainte Anne, la maîtrise des techniques d’écriture du sonnet n’a pas suffi à Baudelaire pour composer les poèmes des Fleurs du Mal

=> Problématique: L’artiste est-il un être exceptionnel, doué d’une personnalité exceptionnelle et d’une capacité innée pour créer, ou a-t-il nécessairement besoin de technique et de travail pour créer une œuvre originale et singulière ? De plus, comment le public apprécie-t-il une telle œuvre ?

I) L’art est irréductible à la technique et indépendant de celle-ci

II) L’art ne se réduit pas à la technique mais ne peut pas pour autant s’en passer

III) L’appréciation de l’art dépend-il de la technique qu’on y voit ?

IV) Le lien entre art et technique permet-il de comprendre la fonction de l’art ?

I) L’art est irréductible à la technique et indépendant de celle-ci

A) La distinction entre production artisanale et création artistique

Remarque préalable : pour montrer que l’art peut s’émanciper de la technique, nous prenons un exemple paradigmatique d’activité dans laquelle l’apprentissage et l’usage de la technique sont centraux : l’artisanat. Ainsi, en distinguant l’art et l’artisanat, nous insistons sur l’irréductibilité de l’art à une utilisation de la technique.

Différence entre artisanat et art dans l’utilisation du savoir-faire :

  • Artisanat : répétition d’un modèle grâce à l’application mécanique de règles de production définies. Transformation d’une matière 1e pour en faire qqch d’utile. L’idée précède et dirige la production. Transmission du savoir-faire de maître à élève (cf. en France, pratique du compagnonnage : compagnon = « celui qui partage le pain avec » = statut final de celui qui apprend en observant et en faisant avec son maître. L’état de Compagnon s’acquiert avec la réalisation d’un « chef d’œuvre »). Expl : ébénistes, charpentier, menuisier, forgeron, potier, luthier…
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Ebeniste au travail, utilisation d’outils spécifiques
  • Art : savoir-faire peut-être nécessaire mais pas suffisant. Transformation d’une matière 1e pour en faire qqch d’original et de nouveau. L’idée naît en même temps que l’œuvre. En art, la relation maître/ élève est complexe et irréductible à une transmission. Expl : Auguste Rodin/Camille Claudel : émancipation de Camille Claudel par rapport à son maitre et amant Auguste Rodin, création singulière dans laquelle elle mêle les matières et excelle dans la sculpture des visages  ; Titien/Tintoret : Tintoret apprend la peinture auprès de Titien mais son œuvre en est radicalement différente car l’époque change et Tintoret refuse de donner une image idéalisée de Venise (comparaison entre L’Assomption de la Vierge de Titien et Le miracle de Saint Marc de Tintoret. Sartre dit de Tintoret : « il ne sait pas ce qu’il fait, il peint » (Le Séquestré de Venise).

De plus, il y a très souvent un gouffre entre l’idée originelle de l’artiste et le résultat final obtenu. Expl : comparaison entre les esquisses préparatoires au Radeau de la méduse et le résultat final. Géricault hésite sur le moment du naufrage qu’il va représenter et en essaie plusieurs. Une des esquisses représente les scènes de cannibalisme quelques jours après le naufrage : la composition est horizontale, très sombre et la violence est explicite. Dans l’œuvre finale, Géricault choisit plutôt le moment où les naufragés perdent espoir, le bateau passant au loin sans les voir : la perspective est approfondie, le mouvement des personnages tend vers le bateau au fond, la diagonale est accentuée, la violence est psychologique, certains espèrent encore alors que d’autres sont déjà désespérés

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Gericault, Le radeau de la méduse (1818)

Autre expl : brouillons de Proust, connu pour reprendre sans cesse ses textes

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Texte d’Alain, Système des beaux-arts : « Il reste à dire en quoi l’artiste diffère de l’artisan. Toutes les fois que l’idée précède et règle l’exécution, c’est industrie. Et encore est-il vrai que l’œuvre souvent, même dans l’industrie, redresse l’idée en ce sens que l’artisan trouve mieux qu’il n’avait pensé dès qu’il essaie ; en cela il est artiste, mais par éclairs. Toujours est-il que la représentation d’une idée dans une chose, je dis même d’une idée bien définie comme le dessin d’une maison, est une œuvre mécanique seulement, en ce sens qu’une machine bien réglée d’abord ferait l’œuvre à mille exemplaires. Pensons maintenant au travail du peintre de portrait ; il est clair qu’il ne peut avoir le projet de toutes les couleurs qu’il emploiera à l’œuvre qu’il commence ; l’idée lui vient à mesure qu’il fait ; il serait même rigoureux de dire que l’idée lui vient ensuite, comme au spectateur, et qu’il est spectateur aussi de son œuvre en train de naître. Et c’est là le propre de l’artiste. Il faut que le génie ait la grâce de la nature et s’étonne lui-même. Un beau vers n’est pas d’abord en projet, et ensuite fait ; mais il se montre beau au poète ; et la belle statue se montre belle au sculpteur à mesure qu’il la fait ; et le portrait naît sous le pinceau. (…) Ainsi la règle du Beau n’apparaît que dans l’œuvre et y reste prise, en sorte qu’elle ne peut servir jamais, d’aucune manière, à faire une autre œuvre. »

Différence entre artisanat et art dans leur finalité :

Distinction cause/fin : une cause est un fait objectif à l’origine d’un effet (expl : la cigarette est une des principales causes de cancer) / une fin est un but subjectif visé par une action (expl : le bonheur est la fin que je recherche).

  • Artisanat: finalité externe. Production d’un objet utile dans un certain but : il est destiné à être utilisé, donc à vieillir et à être remplacé. L’objet produit appartient à l’espace du quotidien où il remplit la fin pour laquelle il a été produit (expl : la chaussure fabriquée par le cordonnier vieillit et est destinée à être changée).
  • Art: finalité interne. L’œuvre d’art n’a aucune utilité directe, il n’intervient pas dans la satisfaction de nos besoins élémentaires et matériels. Cf. Théophile Gautier, théoricien du mouvement poétique du Parnasse ou théorie de « l’art pour l’art », Préface à Melle de Maupin : « Rien de ce qui est beau n’est indispensable à la vie. – On supprimerait les fleurs, le monde n’en souffrirait pas matériellement ; qui voudrait cependant qu’il n’y eût plus de fleurs ? Je renoncerais plutôt aux pommes de terre qu’aux roses »). N’étant pas utilisée, elle est moins sujette au vieillissement. Elle a un espace spécifique qui lui est dédié (souvent un musée). Expl : contrairement à la chaussure fabriquée par l’artisan, les chaussures peintes par Van Gogh dans le tableau Vieux souliers aux lacets sont préservées du vieillissement.
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Van gogh Vieux souliers aux lacets (1886)

Texte de Kant, Critique de la faculté de juger, §43 : « L’art est distinct du métier; l’art est dit libéral, le métier est dit mercenaire. On considère le premier comme s’il ne pouvait obtenir de la finalité (réussir) qu’en tant que jeu, c’est-à-dire comme une activité en elle-même agréable; on considère le second comme un travail, c’est-à-dire comme une activité, qui est en elle-même désagréable (pénible) et qui n’est attirante que par son effet (par exemple le salaire), et qui par conséquent peut être imposée de manière contraignante. »

Différence entre artisanat et art dans le rapport au temps :

  • Artisanat : le produit artisanal vieillissant, il est destiné à être réparé et à être remplacé.
  • Art : l’œuvre d’art a qqch d’éternel. Cf. Théophile Gautier, L’Art : « Tout passe. L’art robuste/Seul à l’éternité/Le buste/Survit à la cité » ou Rilke, Lettre à un jeune poète: « Plus indicibles que tout sont les œuvres d’art, existences mystérieuse dont la vie, à côté de la nôtre, qui passe, est durable ».
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Buste de Néfertiti, datant de -1400

Même quand elle est créée dans un contexte historique très particulier, elle dépasse ce contexte et atteint l’universel. Expl : Guernica de Picasso (bombardement du village de Guernica en 1937 commandé par les nationalistes espagnols et effectué par les troupes allemandes), Tres de Mayo de Goya (fusillade des soldats espagnols les 2 et 3 mai 1808 par les soldats français), Ouverture 1812 de Tchaikovski (victoire Russie contre la France de Napoléon 1e)…

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Picasso, Guernica (1937)
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Goya, Tres de Mayo (1814)

Cf. Baudelaire, Le peintre de la vie moderne: le beau a une dimension historique liée à la mode et une dimension éternelle liée au regard de l’artiste).

Remarque : les arts, en fonction de leur lien avec la matière, ne vieillissent pas de la même façon : la poésie et la musique vieillissent moins que la peinture et l’architecture. Cela pose la question de la restauration : doit-on et si oui dans quel esprit restaurer une oeuvre d’art? Faut-il reproduire l’oeuvre telle qu’elle était originellement ou utiliser d’autres matériaux, plus aptes à résister au passage du temps? (expl : la charpente de la cathédrale de Reims a été refaite en béton dans les années 1920, après que celle en bois a brûlé et été détruite à plusieurs reprises). Cf Hegel, Esthétique : l’art est un moyen pour l’Esprit de s’exprimer. En fonction du rapport de chaque art à la matière qu’il utilise, l’Esprit peut plus ou moins apparaître. Hiérarchie des arts : architecture, sculpture, peinture, musique, poésie.

Expl de vieillissement de la peinture : jaune utilisé par Van Gogh et Turner : le jaune de chrome utilisé au XIXe a tendance à devenir marron avec les rayons ultra-violets.

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Van gogh, Tournesols (1889)

Texte de Hannah Arendt, La crise de la culture : « Parmi les choses qu’on ne rencontre pas dans la nature, mais seulement dans le monde fabriqué par l’homme, on distingue entre objets d’usage et œuvres d’art ; tous deux possèdent une certaine permanence qui va de la durée ordinaire à une immortalité potentielle dans le cas de l’œuvre d’art (…) Du point de vue de la durée pure, les œuvres d’art sont clairement supérieures à toutes les autres choses; comme elles durent plus longtemps au monde que n’importe quoi d’autre, elles sont les plus mondaines des choses. Davantage, elles sont les seules choses à n’avoir aucune fonction dans le processus vital de la société; à proprement parler, elles ne sont pas fabriquées pour les hommes, mais pour le monde, qui est destiné à survivre à la vie limitée des mortels, au va-et-vient des générations. Non seulement elles ne sont pas consommées comme des biens de consommation, ni usées comme des objets d’usage: mais elles sont délibérément écartées des procès de consommation et d’utilisation, et isolées loin de la sphère des nécessités de la vie humaine. »

 B) L’artiste est un génie inspiré pour lequel la technique est secondaire

L’artisan fait son métier pour être utile à la société.

Pour l’artiste, son art est sa vie, à tel point qu’il continue à créer même quand il ne peut pas en vivre (expl : Van Gogh soutenu financièrement par son frère ; Edgar Allan Poe qui meurt alcoolique, pauvre et fou ; Vermeer mort criblé de dettes ; Jimi Hendrix qui ne sort que 4 albums de son vivant…). L’artiste semble éloigné des nécessités de la vie et parfois différent pour être reconnu de son temps. Cf. Nicolas de Stael : « Toute ma vie, j’ai eu besoin de penser peinture, de voir des peintures, de faire de la peinture pour m’aider à vivre ».

Avec toutes ces difficultés, seuls certains êtres exceptionnels sont capables de créer et de consacrer leur vie à leur art. Ce sont des génies (expl paradigmatique : Mozart). Ils n’ont presque pas besoin d’apprendre, l’inspiration leur suffit. Expl : Balzac écrivait avec une facilité et une abondance qui étonnait ses contemporains (91 œuvres en 50 ans et projet de la « Comédie humaine » pour décrire une société dans son intégralité).

 

Référence : Platon, Ion : analogie entre poètes et prophètes : l’inspiration leur vient directement des dieux. L’artiste n’est qu’un intermédiaire permettant de transmettre aux hommes le souffle divin. Les poètes écrivent leurs vers et les rhapsodes les récitent sous l’emprise de la force surnaturelle divine. Métaphore de la respiration : l’inspiration est comme un souffle qui traverse et anime l’artiste.

Personnification de l’inspiration : les Muses. Expl : Tableau de Nicolas Poussin, L’inspiration du poète ; Musset, La Nuit de Mai : « Est-ce toi dont la voix m’appelle, O ma pauvre Muse ! est-ce toi ? O ma fleur ! o mon immortelle ! » ; Muse vivante de Pierre Bonnard : Marthe

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Poussin, L’inspiration du poète (1630)

Kant, Critique de la Faculté de Juger : génie = être doué qui ne semble pas suivre de règles car il est directement inspiré par la nature. 3 caractéristiques :

  • Originalité : le génie « consiste à produire ce dont on ne saurait donner aucune règle déterminée ». Le génie n’a pas acquis une technique mais a reçu un don naturel.
  • Exemplarité : artiste unique et original, et son œuvre doit servir de modèle pour la création d’autres œuvres. Il invente les règles de son art.
  • L’inexplicable : l’artiste ne peut pas lui-même expliquer sa création, ce qui le distingue du technicien (ex : différence entre Newton et Shakespeare).

=> Génie = « l’intermédiaire par lequel la nature donne ses règles à l’art »

Perfection et originalité de l’œuvre créée => nouvelles règles pour l’art.

Texte de Kant, CFJ §46 : « Le génie est le talent (don naturel), qui donne les règles à l’art. Puisque le talent, comme faculté productive innée de l’artiste, appartient lui-même à la nature, on pourrait s’exprimer ainsi : le génie est la disposition innée de l’esprit par laquelle la nature donne les règles à l’art. (…) On voit par là que le génie : 1° est un talent, qui consiste à produire ce dont on ne saurait donner aucune règle déterminée ; il ne s’agit pas d’une aptitude à ce qui peut être appris d’une règle quelconque ; il s’ensuit que l’originalité doit être sa première propriété ; 2° que l’absurde aussi pouvant être original, ses produits doivent en même temps être des modèles, c’est-à-dire exemplaires et par conséquent, que sans avoir été eux-mêmes engendrés par l’imitation, ils doivent toutefois servir aux autres de mesure ou de règle de jugement ; 3° qu’il ne peut décrire lui-même ou exposer scientifiquement comment il réalise son produit, et qu’au contraire c’est en tant que nature qu’il donne la règle ; c’est pourquoi le créateur d’un produit qu’il doit à son génie, ne sait pas lui-même comment se trouvent en lui les idées qui s’y rapportent et il n’est en son pouvoir ni de concevoir à volonté ou suivant un plan de telles idées, ni de les communiquer aux autres dans des préceptes, qui les mettraient à même de réaliser des produits semblables. (C’est pourquoi aussi le mot génie est vraisemblablement dérivé de genius l’esprit particulier donné à un homme à sa naissance pour le protéger et le diriger, et qui est la source de l’inspiration dont procèdent ces idées originales) ».

C) Contrairement à l’objet artisanal produit par l’application de la technique, l’œuvre d’art est singulière et recréée à chaque interprétation qui en est faite

L’œuvre d’art est exceptionnelle et unique. L’artiste n’en produit généralement qu’une seule. Toutes les contrefaçons, tout aussi fidèles soient-elles à l’original, sont dénigrées. Elle a une « aura » (expression de Walter Benjamin, L’œuvre d’art à l’heure de la reproductibilité technique).

Alors que la technique vise la reproductibilité d’un objet, l’art vise la singularité. Même quand l’artiste reproduit la même chose (invention des « séries » par Monet avec les Nymphéas ou les Meules de foin), l’œuvre est toujours unique.

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Monet, Meules de foin (1884-1886)

De plus, alors que l’objet produit par la technique a un seul but (remplir la fonction pour laquelle il a été produit), l’œuvre d’art n’a pas de sens fixé à l’avance et est ouverte à une infinité d’interprétations (expl : Nocturne de Chopin, tableau de Kandinsky, poème de Mallarmé…). Toutes les interprétations sont possibles, même si certaines restent plus pertinentes que d’autres.

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Kandinsky, Composition VII (1913)

Texte d’Umberto Eco, L’œuvre ouverte : « Toute œuvre d’art alors même qu’elle est une forme achevée et close dans sa perfection d’organisme exactement calibré, est ouverte au moins en ce qu’elle peut être interprétée de différentes façons, sans que son irréductible singularité soit altérée. Jouir d’une œuvre d’art revient à en donner une interprétation, une exécution, à la faire revivre dans une perspective originale. »

Importance de l’interprétation pour les partitions musicales, ou pour les pièces de théâtre : recréation d’une œuvre par les interprètes (expl : Valse de Ravel : le chef d’orchestre Bernstein insiste sur l’aspect torturé de cette valse composée par Ravel lorsqu’il était dans les tranchées alors que d’autres chefs d’orchestre préfèrent accentuer l’aspect mélodique. Autres expl : Prélude op23 n5 de Rachmaninov, Ile aux esclaves de Marivaux, Antigone de Sophocle…).

 

II) La technique comme condition nécessaire mais non suffisante à la création artistique

A) Art et technique sont, historiquement et étymologiquement, proches

Même origine : « technê », en grec, qui donnera « ars » en latin.

L’art désignait au départ toute activité de production humaine, par opposition aux productions naturelles. Pendant très longtemps, il n’y a pas de distinction entre art et artisanat, ni entre artiste et artisan. Ce n’est que par la suite, à la Renaissance, qu’est apparue une distinction entre d’un côté la production technique, et de l’autre côté l’art compris comme Beaux-arts (peinture, architecture, sculpture, gravure). Les arts qui impliquent le geste (musique, théâtre, danse, chant, poésie) sont quant à eux nommés « arts libéraux ».

Avec cette distinction entre arts serviles (artisanat), arts libéraux et Beaux-Arts, apparaît immédiatement une hiérarchie. Les artisans sont alors dévalorisés socialement, alors que les artistes deviennent, dans l’imaginaire collectif, de véritables génies.

Mais cette distinction entre art et artisanat, en plus d’être historiquement datée en France, n’est pas commune à toutes les cultures. Bien au contraire, dans les cultures orientales, l’artisan est considéré comme un artiste.

Expl : au Japon, l’artiste et l’artisan sont une seule et même personne, capable de fabriquer un objet en respectant la matière utilisée et en valorisant la grâce dans le geste effectué.

Namikawa Sosuke assiette
Namikawa Sosuke, assiette

 

Namikawa Sosuke vase
Namikawa Sosuke, vase

Cette proximité entre l’art et l’artisanat implique que l’attention est plus portée sur l’acte de création que sur l’éternité de l’œuvre finale. Expl : les jardiniers japonais sont considérés comme des artistes, partageant les codes esthétiques avec les peintres et calligraphes notamment, alors que leur œuvre disparaît et doit être recommencée au quotidien. Ce respect pour l’impermanent et l’imparfait se nomme en japonais « Wabi-Sabi ». Le but d’un jardinier est symbolique et esthétique : il s’agit de recréer la nature en miniature, en l’idéalisant et en limitant l’utilisation d’artifices. Comme le peintre, le jardinier joue avec la perspective, notamment en faisant varier la taille des objets pour augmenter ou diminuer l’effet de profondeur. Selon que l’on contemple le jardin d’un point fixe ou en déambulant par les chemins et ponts, l’œuvre contemplée n’est pas la même et varie selon les saisons.

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Jardin du Musée d’art d’Adachi

La confusion entre art et artisanat implique aussi une absence de hiérarchie entre l’artiste et l’artisan, et entre l’œuvre d’art et l’objet artisanal. Au Japon, les objets artisanaux traditionnels sont utilisés tout en étant très respecté. On voit très bien la valeur qu’accorde un japonais à l’objet artisanal dans la pratique du Kintsugi : lorsqu’un objet en céramique se brise, on ne le jette pas. Au contraire, on le recrée en utilisant de l’or pour le réparer.

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Autre expl de la confusion entre monde artistique et monde quotidien artisanal : dans la tribu africaine N’Debélé, les femmes peignent et repeignent leur maison à chaque fois qu’un jeune homme entre dans l’âge adulte en utilisant des motifs géométriques et des couleurs variées. L’art est inclus dans la vie quotidienne des villages et toutes les femmes apprennent à peindre et à faire des perles dès leur enfance pour transmettre le savoir-faire.

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Art et artisanat ne sont donc pas si éloignés qu’ils ne nous paraissaient au 1e abord.

B) Pas d’art sans travail ni technique : la critique de l’idée de génie.

A travers la figure du génie artistique, que nous avons présenté précédemment comme un être doué de capacités innées exceptionnelles, il semble que la technique est secondaire. Mais un tel être existe-t-il vraiment ?

Nietzsche, Humain, trop humain §162 : la figure du génie comme talent naturel est un mythe.

Dans toute création, artisanale et artistique, se cache une somme de travail considérable. Aucune œuvre n’est le produit d’un miracle. Si, face à une œuvre extraordinaire, nous avons l’impression qu’il s’agit d’un miracle, c’est que le travail accumulé dans l’œuvre n’apparaît plus dans le résultat final (expl : Martha Argerich jouant les Rhapsodies hongroises de Lizst (n°6 apd 3min50), danse de Nijinsky dont Rodin disait que «Rien n’est plus saisissant que son élan », danse de Sergei Polunin « Le Corsaire » ou « Take me to church », toiles de Titien dans lesquelles on ne voit pas les dizaines d’esquisses faites auparavant).

La perfection sous laquelle se présente l’œuvre d’art fait donc oublier qu’elle est le résultat d’une patiente et difficile gestation.

Texte de Nietzsche, Humain trop humain : « L’activité du génie ne paraît pas le moins du monde quelque chose de foncièrement différent de l’activité de l’inventeur en mécanique, du savant astronome ou historien, du maître en tactique. Toutes ces activités s’expliquent si l’on se représente des hommes dont la pensée est active dans une direction unique, qui utilisent tout comme matière première, qui ne cessent d’observer diligemment leur vie intérieure et celle d’autrui, qui ne se lassent pas de combiner leurs moyens. Le génie ne fait rien que d’apprendre d’abord à poser des pierres, ensuite à bâtir, que de chercher toujours des matériaux et de travailler toujours à y mettre la forme. Toute activité de l’homme est compliquée à miracles, non pas seulement celle du génie, mais aucune n’est un « miracle ». D’où vient donc cette croyance qu’il n’y a de génie de chez l’artiste, l’orateur et le philosophe ? qu’eux seuls ont une « intuition » ? Les hommes ne parlent intentionnellement de génie que là où les effets de la grande intelligence leur sont le plus agréables et où ils ne veulent pas d’autre part éprouver d’envie. Nommer quelqu’un « divin », c’est dire « ici nous n’avons pas à rivaliser ». En outre, tout ce qui est fini, parfait, excite l’étonnement, tout ce qui est en train de se faire est déprécié. Or, personne ne peut voir dans l’œuvre de l’artiste comment elle s’est faite ; c’est son avantage, car partout où l’on peut assister à la formation, on est un peu refroidi. »

Expl d’artiste qui ne pouvait se passer de travailler : Flaubert : « Je travaille comme un mulet, écrire me fait mal», « Quel rocher de Sisyphe à rouler que le style, et la prose surtout », « J’éprouve maintenant comme si j’avais des lames de canif sous les ongles, et j’ai envie de grincer les dents », « La cervelle me danse dans le crâne ».

Cf. Paul Valéry, Au sujet d’Adonis : l’artiste peut être inspiré mais son inspiration ne suffira jamais pour qu’il crée une œuvre : « Les dieux, gracieusement, nous donnent pour rien tel premier vers ; mais c’est à nous de façonner le second, qui doit consonner avec l’autre, et ne pas être indigne de son aîné surnaturel. Ce n’est pas trop de toutes les ressources de l’expérience et de l’esprit pour le rendre comparable au vers qui fut un don »

Pas d’art sans technique ni travail. Pourtant, l’art reste irréductible à une somme de travail et à la maîtrise de techniques.

C) Une nouvelle définition de l’artiste

Le génie n’est peut-être pas celui qui est inspiré mais celui qui a tellement travaillé, et qui s’est approprié les techniques à tel point que le travail ne se voit plus dans le résultat final, et que l’artiste est capable d’inventer de nouvelles techniques.

Expl : Beethoven, Sonate 111 2e mouvement : au XVIIIe, Beethoven semble inventer le jazz ;

Titien renouvelle le genre du portrait en peignant ses modèles en grand format et la moitié de leur corps ;

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Titien, L’homme au gant (1520)

Leonard de Vinci invente le « sfumato » ;

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Leonard de Vinci, Sainte Anne, détail du tableau (autour de 1503)

Victor Hugo crée le drame romantique, Baudelaire invente la poésie en prose…

Le philosophe Alain insiste sur la nécessité de maîtriser parfaitement les techniques pour créer et pour inventer de nouvelles règles.

Expl : Picasso n’a pratiqué l’art abstrait qu’après avoir maîtrisé les techniques de l’art classique (comparaison entre Jeune homme au cheval et Les demoiselles d’Avignon).

Turner s’émancipe progressivement de la peinture classique apprise aux Beaux Arts (Venise vue des marches de l’hôtel Europa) pour travailler de plus en plus le mouvement (Château de Norham, Incendie du Parlement de Londres, Pluie Vapeur Vitesse), à tel point qu’il est considéré comme le précurseur de l’impressionnisme.

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Turner, Venise vue des marches de l’hotel Europa (vers 1840)
Norham Castle, Sunrise c.1845 by Joseph Mallord William Turner 1775-1851
Turner, Chateau de Norham (vers 1850)

Camille Claudel commence par sculpter en imitant les techniques et le style de son maître Auguste Rodin, puis crée sa propre œuvre en choisissant des matériaux et des thèmes qui lui sont propres et qui font d’elle une artiste singulière (cf. vidéo NaRt « Camille Claudel »).

Texte d’Alain, Système des Beaux-Arts : « Puisqu’il est évident que l’inspiration ne forme rien sans matière, il faut donc à l’artiste, à l’origine des arts et toujours, quelque premier objet ou quelque première contrainte de fait, sur quoi il exerce d’abord sa perception, comme l’emplacement et les pierres pour l’architecte, un bloc de marbre pour le sculpteur, un cri pour le musicien, une thèse pour l’orateur, une idée pour l’écrivain, pour tous des coutumes acceptées d’abord. Par quoi se trouve défini l’artiste, tout à fait autrement que d’après la fantaisie. Car tout artiste est percevant et actif, artisan toujours en cela. (…) Ainsi la méditation de l’artiste serait plutôt observation que rêverie, et encore mieux observation de ce qu’il a fait comme source et règle de ce qu’il va faire. Bref, la loi suprême de l’invention humaine est que l’on n’invente qu’en travaillant. Artisan d’abord.»

Ainsi, tout en maintenant la distinction entre artiste et artisan, Alain montre que non seulement ne peut être dit artiste que celui qui maîtrise à la perfection les règles de son art (« Artisan d’abord »), mais que l’on peut aussi parfois dire d’un artisan qu’il est artiste (cf. Simondon, Du mode d’existence des objets techniques : les objets techniques peuvent être beaux lorsqu’on les voit dans le milieu dans lequel ils sont inscrits. Expl : Viaduc de Millau).

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Viaduc de Millau, inauguré en 2004

Remarque : comme le dit Alain au début du texte, les contraintes techniques peuvent être pour l’artiste une source d’inspiration et une base pour travailler (bloc pour le sculpteur, règles poétiques pour le poète, accord ou gamme pour le musicien…). Cf. Baudelaire, Lettre à Armand Fraisse, fev. 1860 : « Parce que la forme est contraignante, l’idée jaillit plus intense. (…) Avez-vous observé qu’un morceau de ciel aperçu par un soupirail, ou entre deux cheminées, deux rochers, ou par une arcade, donnait une idée plus profonde de l’infini que le grand panorama vu du haut d’une montagne ? »

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Michel-Ange, Pieta (1499) : le contraste entre la dureté du marbre et la douceur des formes, notamment des visages, est saisissante

 

Autre exemple : Exercices de style de Raymond Queneau : Queneau raconte 99 fois la même histoire dans des styles différents (litotes, métaphorique, rêve, surprise, anagramme, Interjection, paysan…). Queneau est un des fondateurs de l’Oulipo (ouvroir de littérature potentielle), qu’il définit comme un groupe de « rats qui construisent eux-mêmes le labyrinthe dont ils se proposent de sortir ». Lorsqu’Umberto Eco traduit Exercices de style en italien, s’ajoute une contrainte supplémentaire, et il affirme : « Je sais donc quel plaisir on éprouve à souffrir sur une phrase qui vous résiste, qu’il faut trahir en respectant les intentions de son auteur. » (interview 1996)

Il semble donc qu’art et technique sont liés, en tant que la technique est la condition de possibilité de l’art.

Nous pouvons alors nous poser la question suivante : l’appréciation d’une œuvre d’art dépend-elle de la maîtrise technique qu’on y voit ?

III) L’appréciation du beau et le jugement esthétique

Pourquoi trouve-t-on certaines choses belles et pas d’autres (expl : comparaison Concerto 23 de Mozart et Sacre du Printemps de Stravinski, entre la Belle jardinière de Raphael et Les joueurs de Skat d’Otto Dix) ? Est-ce en fonction de leur degré de maîtrise technique ?

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Raphael, La belle jardinière (1505)
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Otto dix, Les joueurs de Skat (1920)

Il semble que l’appréciation de la beauté ne soit pas directement liée à la technique (expl : on peut trouver très belle une toile de Rothko alors qu’elle exige moins de technique qu’une toile de Delacroix).

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Toile de Rothko (1958)

Mais pourquoi trouve-t-on alors certaines choses belles ?

A) Il existe des critères universels d’appréciation du beau

Dans une conception antique puis classique de l’art, il existe des critères qui permettent de définir de façon absolue la beauté. Pour les grecs, les critères du beau comme la symétrie et l’harmonie sont fixés et correspondent à des valeurs morales (ce qui est beau est aussi bon, conforme à sa place dans le Cosmos). A l’époque classique en France, le critère de beauté absolue est la vérité (Boileau Art poétique : « Rien n’est beau que le vrai : le vrai seul est aimable, / Il doit régner partout et même dans la fable ». Vérité = fidélité à la nature créée par Dieu et écrite en langage mathématique. Expl : jardins de Le Notre).

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Jardins de Versailles, dits  » à la française », André Le Notre

Kant, CFJ : difficulté à définir les critères d’appréciation du beau.

Distinction beau/agréable : l’agréable dépend des goûts de chacun (expl : goûts culinaires) alors que le beau relève d’un jugement commun à tous les sujets car il émane de facultés communes à tous les sujets : « Lorsqu’il dit qu’une chose est belle, il attribue aux autres la même satisfaction ; il ne juge pas seulement pour lui, mais pour autrui et parle alors de la beauté comme si elle était une qualité de la chose. » => Universalité du jugement esthétique

Mais cette position n’a-t-elle pas des limites ? Pourquoi certaines personnes sont-elles ébahies devant les sculptures de Jeff Koons, alors que d’autres y restent complètement indifférents ?

Peut-être parce que l’appréciation du beau résulte d’une éducation sensorielle et culturelle.

 B) La dimension sociale et culturelle de l’appréciation du beau

Expl : l’appréciation du tableau Les femmes d’Alger de Picasso n’est pas la même pour celui qui connaît Picasso et qui connaît le tableau original de Delacroix que pour celui qui découvre l’art abstrait pour la 1e fois. Idem pour le Portrait du Pape Innocent X de Bacon, comparé à l’original de Velasquez.

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Delacroix, Femmes d’Alger (1834)
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Picasso, Femmes d’Alger (1954) 

Bourdieu, La distinction, critique sociale du jugement : l’appréciation du beau dépend de la classe sociale à laquelle on appartient : « L’œil est un produit de l’histoire reproduit par l’éducation ». Distinguer le bon et le mauvais goût est un moyen pour la classe dominante d’affirmer sa domination, puisque « le bon goût », l’appréciation du beau véritable, est permis par une éducation réservée à cette classe dominante. Les enfants de la classe bourgeoise pourront ainsi apprécier la peinture de Pollock, alors que les enfants de la classe moyenne trouveront belle une photographie de coucher de soleil.

Cette influence de la classe sociale sur le jugement esthétique implique aussi que les capacités de contemplation esthétique peuvent se développer et les sens s’éduquer, ce qui signifie qu’une fréquentation régulière de l’art nous apprend à apprécier les œuvres (expl : il est possible d’apprendre à aimer l’opéra en s’habituant à écouter certains airs).

C) La dimension subjective de l’appréciation du beau

Malgré l’influence de l’origine sociologique sur l’appréciation du beau, il n’en reste pas moins que tout individu a un regard et un jugement esthétique sur une œuvre légitime, ce que semble affirmer le poète Keats : « La beauté est dans l’œil de celui qui regarde » .

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Schiele, Quatre arbres (1917)

Selon Hume, le jugement esthétique est la rencontre entre un objet et le sujet qui juge. La beauté n’est pas une caractéristique de la chose elle-même, mais naît de l’émotion du spectateur face à l’œuvre : « La beauté n’est pas une qualité inhérente aux choses elles-mêmes, elle existe seulement dans l’esprit qui la contemple, et chaque esprit perçoit une beauté différente » (La norme du goût). Hume ajoute que cette perception du beau peut être éduquée, et, bien avant Bourdieu, il souligne l’importance de l’éducation pour apprécier l’art et pour formuler un jugement esthétique riche et intéressant sur une œuvre contemplée : « la rencontre avec l’oeuvre d’art (…) suppose un acte de connaissance, une opération de déchiffrement, de décodage, qui implique la mise en œuvre d’un patrimoine cognitif, d’une compétence culturelle ».

IV) La fonction de l’art

Il nous reste à aborder une question laissée de côté dans la première partie de notre réflexion : si, contrairement à l’artisanat, l’art n’est pas directement utile, pourquoi existe-t-il ?

D’autre part, si une œuvre d’art n’est pas forcément belle et qu’elle n’est pas belle pour tous, et si la maîtrise technique n’assure pas la beauté d’une œuvre, alors pourquoi faire et contempler de l’art ?

 A) La fonction de l’art n’est pas d’imiter la nature

Si la qualité de l’art ne dépend pas du degré de maîtrise technique qui y est visible, alors la forme suprême de l’art n’est pas celle qui imite le mieux la nature.

Contrairement à Aristote qui défendait une conception de l’art comme « mimesis », Hegel montre que le but de l’art n’est pas d’imiter la nature. Hegel, Esthétique : « En voulant rivaliser avec la nature par l’imitation, l’art restera toujours au-dessous de la nature et pourra être comparé à un ver faisant des efforts pour égaler un éléphant. ». Selon Hegel, pour un artiste, imiter la nature, « C’est priver l’art de sa liberté, de son pouvoir d’exprimer le beau. »

 B) La fonction de l’art est de nous faire voyager

Loin de devoir imiter la nature réelle, l’art a la liberté de pouvoir inventer un monde et d’y faire voyager les spectateurs (expl : l’univers crée par Tolkien est riche et cohérent et nous permet de nous évader, le temps d’une lecture ou d’un film). L’artiste invite au voyage, comme le dit Baudelaire dans « Invitation au voyage » : « Mon enfant, ma sœur,/ Songe à la douceur/ D’aller là-bas/ Vivre ensemble » (Les fleurs du mal). Pour cela, l’artiste partage avec le public son intériorité, ses rêves et pensées. En ce sens, on peut dire de l’art qu’il a une fonction spirituelle : dans l’œuvre, on contemple un esprit qui pense. Pour le peintre Kandinsky, la fonction de l’art est d’ordre spirituel : « Une oeuvre est bonne lorsqu’elle est apte à provoquer des vibrations de l’âme, puisque l’art est le langage de l’âme et que c’est le seul. »  « L’art peut atteindre son plus haut niveau s’il se dégage de sa situation de subordination vis-à-vis de la nature, s’il peut devenir absolue création et non plus imitation des formes du modèle naturel. » (Du spirituel dans l’art, et dans la peinture en particulier). Expl : tableaux Composition VII et VIII ; Nocturne 48 n1 de Chopin (état mélancolique et torturé de l’artiste), tableaux d’Odilon Redon, tableaux de Chagall…

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Odilon Redon, Papillons

 

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Photographie de Man Ray, Rayogramme (vers 1921)
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Carte de la Terre du milieu, dans l’univers de Tolkien

 

 

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Niki de Saint Phalle, Les trois Grâces (1994)

C) La fonction de l’art n’est pas d’imiter mais d’embellir la nature et de nous la rendre visible

Peut-être que la fonction de l’art n’est pas d’imiter la nature, mais de la sublimer, de l’offrir à la contemplation. Cf. Klee : « L’art ne reproduit pas le visible, il le rend visible ».

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Cezanne, Nature morte aux pommes et oranges (1899)

Texte de Bergson, La Pensée et le Mouvant : « Il y a depuis des siècles des hommes dont la fonction est de voir et de nous faire voir ce que nous n’apercevons pas naturellement. Ce sont les artistes. A quoi vise l’art, sinon à nous montrer, dans la nature et dans l’esprit, hors de nous et en nous, des choses qui ne frappaient pas explicitement nos sens et notre conscience ? »

Pour Bergson, nous avons quotidiennement une vision utilitaire du monde car nous devons vivre et agir. Mais, au-delà de la dimension du besoin, Bergson insiste sur l’importance du « luxe » de la contemplation artistique, car celle-ci nous invite à « élargir notre perception », et à retrouver notre capacité d’étonnement et d’émerveillement face au monde. L’art nous permet de retrouver une certaine innocence du regard, une « manière virginale de voir, d’entendre et de penser ».

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Monet, Le pont japonais à Giverny (vers 1900)
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Maray Cassat, Petite fille dans le fauteuil bleu (1878)
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Klimt, Les trois âges de la femme, détail (1905)

Expl : travail artistique sur le clair de lune : Clair de lune de  Kawase, de Turner, Nuit étoilée sur le Rhône de Van Gogh, Sonate au clair de lune de Beethoven, Clair de lune de Debussy, Clair de lune de Victor Hugo (« La lune était sereine et jouait sur les flots »), Clair de lune de Verlaine (« Ils n’ont pas l’air de croire à leur bonheur, Et leur chanson se mêle au clair de lune, au calme clair de lune triste et beau… »), Ballade à la lune de Musset (« C’était dans la nuit brune, sur le clocher jauni, la lune, comme un point sur un i ») …

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Kawase, Clair de lune
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Van gogh, Nuit étoilée sur le Rhône (1888)

Même les objets les plus banals du quotidien peuvent être regardés à nouveau grâce à l’art. Expl : corbeille de fruits peinte par Cezanne, personnes enfermées dans leur solitude peintes par Hopper, objets du quotidien décrits par Ponge dans Le Parti pris des choses

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Hopper, Les oiseaux de nuit (1942)

 

En un mot, philosophons!

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