La raison et la croyance

LA RAISON ET LA CROYANCE

Point de départ : pourquoi croyons-nous à notre horoscope ?

Dans la plupart des journaux, on trouve nos horoscopes pour la journée ou la semaine en fonction de nos signes astrologiques. Pourquoi prenons-nous du plaisir à les lire, même lorsque nous n’y croyons pas vraiment ?

Pour plusieurs raisons :

  • Parce qu’ils sont rédigés de façon tellement générale qu’ils tombent toujours justes sur au moins un des points (c’est ce qu’on appelle en psychologie « l’effet Barnum »).

Pour se renseigner un peu plus précisément sur l’effet Barnum :

  • Parce que dans notre journée, dans tout ce qui nous arrive, on va porter plus d’importance à ce qui était annoncé dans notre horoscope qu’au reste (en psychologie, le biais cognitif qui nous fait focaliser sur les choses négatives).

Pour compléter la réflexion sur la Loi de Murphy :

  • Parce que la croyance nous rassure et permet de donner un sens au hasard et à l’imprévisible.

Pour illustrer notre besoin de donner du sens à ce qui apparaît désordonné, on peut se référer au phénomène de la paréidolie, qui consiste à voir des formes et notamment à trouver des visages dans ce qui n’en a pas, les nuages par exemple).

 

On peut donc dire que la croyance a une dimension psychologique et même affective pour nous. En effet, croire est pour nous un besoin (croire en notre horoscope pour donner un sens au hasard mais aussi croire en soi-même pour avancer dans la vie, croire en autrui pour avoir confiance, croire en un être supérieur pour fuir la peur de la mort, …).

On peut remarquer que toutes les croyances n’ont pas le même statut ni degré de fiabilité (je ne crois pas en une théorie scientifique comme je crois à la parole d’un medium). En ce sens, on pourrait même distinguer la croyance (le fait de considérer comme vrai qqch sans pouvoir le vérifier ou le justifier) et le savoir (le fait de considérer comme vrai qqch en pouvant le vérifier et le justifier).

Les horoscopes ne sont pas un savoir car ce qu’ils disent ne peut pas être justifié ni vérifié. Ils sont d’ailleurs rédigés aléatoirement et peuvent varier en fonction des journaux. On ne peut donc pas faire de l’astrologie une science, même si chacun est libre d’y croire ou non.

Ainsi, il semble que toutes les croyances n’ont pas le même degré de rationalité et seules les croyances qui peuvent être justifiées par des preuves peuvent être appelées « savoirs ». Il y a donc une opposition entre le savoir, dont la méthode rigoureuse permet au moins provisoirement de connaître les choses telles qu’elles sont vraiment, et la croyance, qui dépend de l’opinion de chacun et qui reste en surface des choses.

=> Problématique : si le degré de rationalité des croyances et inférieur à celui du savoir, pourquoi continuons-nous à croire ?

I) Les raisons pour lesquelles nous croyons sont nombreuses

A) Dans la vie quotidienne, il nous faut souvent agir rapidement

Dans le domaine de la connaissance, les croyances sont inférieures au savoir.

Par expl, croire que le Soleil tourne autour de la Terre, c’est tirer une conclusion abusive d’une simple observation à l’œil nu. Au contraire, observer les trajectoires du Soleil et des autres planètes plusieurs fois en utilisant un télescope et en comparant les résultats pour en tirer des conclusions vérifiables par n’importe quel autre expérimentateur permet d’accéder à un savoir beaucoup plus solide.

Autre expl : lors d’un procès, le témoignage de celui qui croit avoir vu l’accusé sortir du parking vers 23h a moins de valeur que le témoignage de celui qui sait que l’accusé est sorti du parking à 22h58 parce qu’il a des preuves (ticket de parking avec l’heure par expl).

Remarque : le raisonnement qui consiste à passer d’une observation particulière à un énoncé général s’appelle l’induction. Utilisée de manière abusive, l’induction peut être dangereuse (les stéréotypes naissent souvent d’inductions abusives, par expl à partir d’un cas d’élève malpoli, j’induis que les jeunes n’ont plus aucune éducation). A part en mathématiques où la déduction prime (passage d’un énoncé général à son application à un cas particulier), les sciences expérimentales font usage de l’induction mais la méthode scientifique permet de limiter les risques d’abus dans les conclusions tirées (par expl, en médecine, pour tester si le paracétamol a un effet anti-douleur, il ne suffit pas de le donner à un seul patient souffrant mais il faut mener des enquêtes à grande échelle à simple ou à double aveugle pour en tirer des conclusions fiables).

Pour réfléchir un peu plus profondément sur la méthode scientifique :

En revanche, dans la vie quotidienne, nous ne pouvons pas nous permettre de vérifier toutes les informations que nous recevons, surtout quand il nous faut agir rapidement. Par expl, si je suis en retard en cours et que qqun m’indique la salle, je vais le croire pour arriver plus rapidement. Dans ce cas, je ne peux pas me permettre de prendre le temps de vérifier l’information sur le logiciel du lycée.

Ainsi, nous avons besoin des croyances pour agir, même si ces croyances peuvent nous conduire à faire des erreurs. Les croyances sont au fondement de l’action, de l’expérience et des relations sociales en général car la confiance est basée sur la croyance.

Dans le dialogue Menon, Platon propose un expl. Son but est de montrer que l’opinion (la croyance) est inférieure au savoir mais que lorsqu’il faut agir, l’opinion est très utile. Son expl : qqun me demande la route pour se rendre dans une ville. Plusieurs réponses sont possibles :

–           Je peux répondre que je ne sais pas = non-savoir

–           Je peux répondre au hasard (ce doit être par là) = opinion

–           Je réponds en indiquant une certaine direction (je crois que c’est par là) et cette direction s’avère être la bonne = opinion vraie

–           Je réponds en indiquant la bonne route (je sais que c’est par là et je peux le prouver) = savoir

Selon Platon, seul le savoir est vraiment solide. Cependant, le savoir exige du temps et, lorsque l’on n’a pas assez de temps, on doit se fier à l’opinion et, par chance, l’opinion est parfois vraie. L’opinion est donc utile, mais, même lorsqu’elle est vraie, elle n’en est pas moins fragile et changeante.

Texte de Platon, Menon 

« SOCRATE : Si quelqu’un connaissant la route qui conduit à Larisse, ou à tout autre lieu que tu veux, s’y rendait et conduisait d’autres personnes, ne le ferait-il pas d’une façon qui soit juste et bonne ?

MENON : Oui, absolument.

SOCRATE : Mais qu’en serait-il de l’homme qui aurait une opinion correcte sur la route à prendre, sans pourtant être allé à Larisse ni connaître la route pour s’y rendre, cet homme-là ne pourrait-il pas lui aussi être un bon guide ? (…) Donc, une opinion vraie n’est pas un moins bon guide, pour la rectitude de l’action, que la raison. (…) L’opinion droite n’est donc en rien moins utile que la science. (…)

MENON : Cela me paraît nécessaire. Alors je m’étonne, Socrate, s’il en est ainsi, du fait que la connaissance ait beaucoup plus de valeur que l’opinion droite, et je me demande aussi pour quelle raison on les distingue l’une de l’autre ! (…)

SOCRATE : Car, vois-tu, les opinions vraies, aussi longtemps qu’elles demeurent en place, sont une belle chose et tous les ouvrages qu’elles produisent sont bons. Mais ces opinions ne consentent pas à rester longtemps en place, plutôt cherchent-elles à s’enfuir de l’âme humaine ; elles ne valent donc pas grand-chose tant qu’on ne les a pas reliées par un raisonnement qui en donne l’explication (…). Mais dès que les opinions ont été ainsi reliées, d’abord elles deviennent connaissances, et ensuite, elles restent à leur place. Voilà précisément la raison pour laquelle la connaissance est plus précieuse que l’opinion droite, et sache que la science diffère de l’opinion vraie en ce que la connaissance est lien ».

B) Croire est plus facile et demande moins d’efforts que connaître

Comme nous l’avons vu, la croyance est efficace car il est plus rapide de croire que de chercher à savoir. En ce sens, la croyance demande aussi beaucoup moins d’efforts que la connaissance et les hommes sont fondamentalement paresseux.

Texte de Kant, Qu’est-ce que les Lumières ?

« La paresse et la lâcheté sont les causes qui font qu’un aussi grand nombre d’hommes préfèrent rester mineurs leur vie durant, longtemps après que la nature les a affranchis de toute direction étrangère ; et ces mêmes causes font qu’il devient si facile à d’autres de se prétendre leurs tuteurs. Il est si aisé d’être mineur ! Avec un livre qui tient lieu d’entendement, un directeur de conscience qui me tient lieu de conscience, un médecin qui juge pour moi de mon régime, etc., je n’ai vraiment pas besoin de me donner moi-même de la peine. Il ne m’est pas nécessaire de penser, pourvu que je puisse payer ; d’autres se chargeront bien pour moi de cette ennuyeuse besogne. Les tuteurs, qui se sont très aimablement chargés d’exercer sur eux leur haute direction, ne manquent pas de faire que les hommes, de loin les plus nombreux, tiennent pour très dangereux le pas vers la majorité, qui est déjà en lui-même pénible. Après avoir abêti leur bétail et avoir soigneusement pris garde de ne pas permettre à ces tranquilles créatures d’oser faire le moindre pas hors du chariot où ils les ont enfermées, ils leur montrent le danger qui les menace si elles essaient de marcher seules. »

Par expl, il est plus facile de croire une information àpd un titre lu sur internet et de la diffuser en partageant juste l’article plutôt que d’aller vérifier l’information en lisant l’article en entier, en cherchant les sources et en allant voir sur d’autres sites si l’information est confirmée. Notre paresse nous incite donc à croire ce que nous voyons ou entendons, sans faire l’effort d’aller vérifier si c’est vrai ou pas. Le problème est que cela nous conduit souvent à l’erreur et au préjugé (par expl, on me dit que tel prof est nul et je me contente de le croire), et cela peut être dangereux (par expl, si une fausse menace d’attentat est diffusée sur les réseaux sociaux, cela peut mener à la panique générale).

Dans cette vidéo, le youtubeur zététicien explique les raisons pour lesquelles les articles faux circulent autant et ont autant de succès sur internet :

C) Croire nous rassure mais nos croyances sont fragiles et peuvent être manipulées

Souvent, nous avons un attachement à nos croyances et le savoir ne suffit pas toujours à nous sortir de l’illusion. Certaines croyances peuvent être motrices (par expl, je peux croire en Dieu pour me donner une raison d’agir moralement, pour le bien d’autrui). Mais le lien entre nos croyances et nos sentiments (espoir, crainte notamment) peuvent conduire à la manipulation. Lorsqu’une croyance est associée à la peur, elle peut devenir une superstition et donner naissance à des comportements influençables, voire irrationnels (expl : au Moyen-Age, on payait des indulgences par peur de ne pas pouvoir accéder au Paradis). Par définition, la superstition est la croyance irraisonnée fondée sur la crainte ou l’ignorance qui prête un caractère surnaturel ou sacré à certains phénomènes, à certains actes, à certaines paroles.

Dans l’Ethique, Spinoza tente de comprendre comment l’ignorance dans laquelle naissent les hommes engendre naturellement, nécessairement, la recherche effrénée des signes qui pourraient leur permettre de donner un sens à leur vie. La superstition est aliénante pour les hommes car elle les conduit à passer leur vie à espérer les récompenses de Dieu et à craindre ses châtiments. Spinoza remarque qu’il est très facile pour les autorités religieuses et politiques d’utiliser les superstitions pour manipuler le peuple.

Texte 3 : Spinoza, Traité théologico-politique :

« Si les hommes avaient le pouvoir d’organiser les circonstances de leur vie au gré de leurs intentions, ou si le hasard leur était toujours favorable, ils ne seraient pas en proie à la superstition.  Mais on les voit souvent acculés à une situation si difficile, qu’ils ne savent plus quelle résolution prendre; en outre, comme leur désir immodéré des faveurs capricieuses du sort les ballotte misérablement entre l’espoir et la crainte, ils sont en général très enclins à la crédulité.  Lorsqu’ils se trouvent dans le doute, surtout concernant l’issue d’un événement qui leur tient à cœur, la moindre impulsion les entraîne tantôt d’un côté, tantôt de l’autre; en revanche, dès qu’ils se sentent sûrs d’eux-mêmes, ils sont vantards et gonflés de vanité. (… ) D’infimes motifs suffisent à réveiller en eux soit l’espoir, soit la crainte.  Si, par exemple, pendant que la frayeur les domine, un incident quelconque leur rappelle un bon ou mauvais souvenir, ils y voient le signe d’une issue heureuse ou malheureuse; pour cette raison, et bien que l’expérience leur en ait donné cent fois le démenti, ils parlent d’un présage soit heureux, soit funeste. (… ) Ayant forgé d’innombrables fictions, ils interprètent la nature en termes extravagants, comme si elle délirait avec eux. »

Pour rendre compte de la généalogie des superstitions :

Quelques exemples de superstitions pour illustrer les dissertations :

Ainsi, on peut voir que les croyances ont une dimension affective pour nous, elles nous donnent des raisons de vivre et nous permettent de donner un certain sens à ce qui nous entoure. Cependant, il nous arrive de croire par facilité et par paresse. Parfois, nous croyons pour ne pas avoir à chercher à savoir. Et comme nous avons un certain plaisir à croire et à donner du sens, les croyances sont facilement manipulables, au niveau individuel mais aussi au niveau collectif.

Cependant, toutes les croyances n’ont pas le même sens ni la même valeur. Et dans certains domaines, le savoir est impossible et le pseudo-savoir (la croyance qui s’ignore comme croyance et qui se prétend savoir) est dangereux.

 II) Il existe des domaines dans lesquels le savoir est impossible et le pseudo-savoir est dangereux

A) Distinction entre « croire que » et « croire en »

Croire, ce n’est pas seulement avoir une opinion sur qqch, c’est aussi adhérer librement et subjectivement à une idée qui n’est pas accessible par le savoir. En effet, certaines choses sont indémontrables. Dans certains domaines, sur la question de l’existence de Dieu par expl, prétendre savoir est inutile, voire dangereux (dérive de la religion en fanatisme).

Dans cet interview, le psychiatre Boris Cyrulnik explique la psychologie des fanatiques :

Selon Kant (Critique de la raison pure), il serait absurde de vouloir démontrer l’existence de Dieu car celle-ci ne relève pas du savoir mais de la croyance. En effet, selon Kant, la connaissance est un ensemble de propositions théoriques que l’on peut démontrer ou confirmer grâce à l’expérience sensible. Or, dans le cas de Dieu, il constate qu’aucune expérience sensible n’est possible. Il est donc impossible de connaître Dieu, on peut seulement y croire. Celui qui prétend connaître Dieu est victime de dogmatisme, voire de fanatisme. Kant définit et critique le dogmatisme comme une croyance en la toute-puissance de la raison.

Pour les questions métaphysiques, Kant affirme : « J’ai donc dû mettre de côté le savoir pour laisser une place à la croyance ».

Les hommes peuvent donc croire en l’existence de Dieu, et cette croyance peut même avoir des effets positifs sur leur attitude morale.

Rôle moteur de la croyance, à condition qu’elle soit consciente d’être une croyance.

Foi = forme de croyance = sentiment intime que Dieu existe. Foi vécue intérieurement et consciente d’être croyance.

Croyance Savoir Foi
Adhésion à une proposition dont la justification rationnelle est insuffisante Vérité prouvée par expérience ou démonstration Croyance en Dieu qui se présente comme absolue
 Croire que Savoir Croire en
La croyance s’ignore comme croyance Connaissance La foi est une croyance consciente d’être croyance

B) Les dangers du prétendu savoir

Comme le savoir est plus fiable que les croyances, certaines sectes font passer les croyances pour des savoirs pour se donner une certaine solidité. Les sectes et le fanatisme sont des dérives des religions. Elles jouent sur les sentiments des croyants en leur faisant oublier que leurs croyances sont des croyances.

Pour réfléchir aux croyances :

Pour approfondir sur les sectes et dérives sectaires :

Selon Karl Popper, il existe un outil pour distinguer la science et la pseudo-science : la falsifiabilité d’un énoncé. Un énoncé est scientifiquement vrai si et seulement s’il admet la possibilité d’être rendu faux par une expérience. En ce sens, les énoncés de sectes comme le créationnisme ne sont pas scientifiques puisqu’aucune expérience ne pourrait les réfuter.

Une vidéo qui réexplique le concept de falsifiabilité :

 

Une explication un peu plus complète en anglais :

En un mot, philosophons!

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