La justice et le droit

                                                       JUSTICE ET DROIT

Qui appelait-on « les Justes » pendant la Seconde Guerre mondiale ?

Justes parmi la nation

Les Justes étaient les citoyens qui, contre les lois en vigueur à l’époque, résistaient au régime nazi, cachaient et aidaient des juifs.

Ici, paradoxe : la justice se joue en dehors, et même contre les lois instituées. L’action des Justes est illégale mais elle est pourtant juste, car fondée sur des valeurs de justice, de respect et d’égalité.

Double sens du terme « justice » :

  • En un sens, c’est une institution qui, dans une société, est chargée d’appliquer le droit et de faire respecter les lois.

Dans une société, cette institution joue plusieurs rôles : un rôle distributif (répartition équitable des biens), punitif (jugement et punition des criminels) et réparateur (réparation et compensation des torts subis par qqun).

L’institution de justice aspire à l’objectivité et à l’impartialité dans ses jugements. Son symbole est une femme, les yeux bandés, portant une balance d’une main et une épée de l’autre.

justice

  • En un autre sens, la justice est un sentiment, une vertu morale incitant au respect de valeurs universelles comme le respect de la dignité d’autrui.

Dès lors, comment expliquer que le sentiment de justice, qui a incité à aider les juifs pendant la guerre, et que l’institution de justice, qui fait appliquer les lois en vigueur dans un pays, puissent être distincts ?

Pour le comprendre, il faut distinguer le droit légal, qui est le droit positif fondé sur les lois d’un pays, et le droit moral, situé au-dessus des lois positives et fondé sur un idéal moral qui permet de dire si les lois elles-mêmes sont justes ou injustes.

=> Problématique : ce qui est inscrit dans les lois et le droit positif est-il nécessairement juste ou existe-t-il aussi des lois qui peuvent être jugées, àpd certains critères, injustes ?

 

I) La justice est une institution indispensable au bon fonctionnement d’une société et son efficacité est liée à l’application des lois

A) Le droit et les critères de justice 

Dans la nature, c’est principalement la force qui règne et, les individus étant inégaux en force, leurs relations ont tendance à être violentes. Contre cette injustice des faits, le droit est institué (opposition faits = ce qui est/ droit = ce qui devrait être).

Droit = ensemble des lois qui prescrivent des droits (ce qu’il est permis de faire) et des devoirs (ce qu’il faut faire). Comme un tuteur, le droit (latin « directus » = « sans courbure ») vient redresser le bois tordu de la nature.

Les lois politiques ont donc pour but de compenser les inégalités naturelles pour traiter avec égalité tous les citoyens.

Selon Aristote, on peut distinguer 2 types d’égalité, qui vont donner naissance à 2 formes de justice distinctes :

  • L’égalité arithmétique : il s’agit de donner exactement la même chose à chacun. C’est le principe de la justice corrective (expl : le voleur doit rendre ce qu’il a volé pour rétablir l’équilibre).
  • L’égalité géométrique : il s’agit de donner différemment à chacun en fonction de certains critères (le besoin, le mérite, l’efficacité). C’est le principe de la justice distributive (expl : on donne plus de nourriture au travailleur qu’à l’enfant, on demande plus d’impôts au riche qu’au pauvre…).
égalité équité.jpg
Sur ce dessin, l’égalité correspond à au sens arithmétique ; l’équité au sens géométrique

L’égalité géométrique vient souvent pallier les faiblesses de l’égalité arithmétique. Mais il est souvent très difficile de choisir un critère de proportionnalité (sur le schéma, le critère est la taille des individus mais les situations sont souvent plus complexes).

Dans la Théorie de la justice, le philosophe contemporain John Rawls commence par étudier les critères évoqués par les philosophes classiques pour définir ce qui est juste. Il finit par proposer une fiction pour déterminer ces critères. Il imagine une « position originelle », dans laquelle les hommes sont placés « sous un voile d’ignorance ».

Rawls voie d'ignorance
Représentation schématique du voile d’ignorance rawlsien

Cette expérience de pensée lui permet d’imaginer comment les individus décideraient des principes de la justice s’ils ne connaissaient rien de leur future condition dans la société (sexe, origine, handicaps, intelligence, richesse…). Dans cette situation, les individus  rationnels refuseraient un système dans lequel ils pourraient être discriminés, en fonction de leur sexe ou de leur origine par exemple.

S’opposant aux discriminations, les individus choisiraient selon Rawls 2 critères de justice principaux :

  • Le principe d’égalité et de liberté : Chaque personne a un droit égal aux libertés les plus étendues compatibles avec la liberté des autres.
  • Le principe de différence : Les inégalités sociales et économiques doivent être agencées de sorte qu’ils sont à la fois au plus grand bénéfice des moins favorisés, et que les positions soient ouvertes à tous dans des conditions d’égalité des chances. Par ce principe de différence, Rawls suppose qu’il est impossible que la société soit strictement égalitaire, mais il évoque la possibilité d’une mobilité sociale de chacun, en fonction de son mérite.

Pour compléter sur la pensée politique de Rawls :

 

Même si ces principes semblent convaincants, le philosophe économiste contemporain Amartya Sen, dans L’Idée de justice, critique la méthode idéaliste de Rawls, qui néglige la complexité des sociétés et du comportement réel des gens. Pour Sen, la priorité est de combattre les « injustices intolérables », par expl l’esclavage (l’abolition de l’esclavage s’est faite parce que cette pratique n’était plus supportable, et non pas d’abord dans l’idéal d’une société juste). Selon Sen, le critère du mérite évoqué par Rawls est très complexe et ne suffit pas pour trancher. Il donne un exemple explicite : Soit une flûte qu’il faut attribuer à un seul parmi trois enfants. Le premier déclare la mériter parce qu’il est le seul à savoir en jouer ; le second clame qu’il est le seul à ne pas avoir de jouet ; le troisième affirme qu’il a fabriqué l’objet de ses propres mains. Dans ce cas, l’attribution est impossible à effectuer sans contredire au moins un principe de justice. Pour Sen, une résolution non violente de ce type de conflit ne peut pas venir d’une institution mais seulement d’une délibération publique. De plus, Sen critique l’idée d’une distribution équitable des biens car, dans la réalité, les biens ne sont pas utilisables de la même façon selon les moyens et la classe sociale de chacun. Par exemple, avoir une voiture ne constitue pas une « capabilité » pour tous, cad une capacité réelle d’utiliser le bien pour accroître sa qualité de vie : pour celui qui ne peut pas se payer de permis de conduire, la voiture ne sera pas source d’une liberté concrète.

Texte d’Amartya Sen, Repenser l’inégalité : « Dans l’évaluation de la justice fondée sur la capabilité, les revendications des individus ne doivent pas être jugées en fonction des ressources ou des biens premiers qu’ils détiennent respectivement, mais de la liberté dont ils jouissent réellement de choisir la vie qu’ils ont des raisons de valoriser. C’est cette liberté réelle qu’on appelle la « capabilité » de l’individu d’accomplir diverses combinaisons possibles de fonctionnements. Il faut distinguer la capabilité – la liberté dont une personne jouit réellement_ à la fois  des biens premiers (et autres ressources) et des accomplissements (dont les combinaisons de fonctionnements réellement vécus et les autres résultats atteints). Pour illustrer la première distinction, rappelons qu’un handicapé peut avoir plus de biens premiers qu’un autre (sous forme de revenus, de fortune, de liberté, etc) mais moins de capabilités (en raison de son handicap). Autre exemple, emprunté cette fois aux travaux sur la pauvreté : quelqu’un peut gagner et manger davantage, mais être moins libre de mener une vie de personne bien nourrie en raison d’un métabolisme de base plus élevé, d’une plus grande vulnérabilité aux maladies parasitaires, d’une corpulence supérieure ou simplement d’une grossesse. De même, lorsque nous traitons de la pauvreté dans les pays riches, nous devons tenir compte du fait que beaucoup de ceux qui sont pauvres en termes de revenus et autres biens premiers ont aussi des caractéristiques –âge, handicap, vulnérabilité à la maladie – qui leur compliquent la conversion des biens premiers en capabilités de base comme pouvoir se déplacer, être en bonne santé, prendre part à la vie de la communauté. Ni les biens premiers, ni des ressources plus largement définies ne sauraient refléter la capabilité dont jouit réellement quelqu’un. »

Le progrès de la justice doit commencer par une égalisation des capabilités de chacun. Pour cela, la revalorisation des délibérations publiques démocratiques est indispensable.

Pour compléter sur la pensée d’Amartya Sen :

 

B) L’opposition entre droit naturel et droit positif 

Au-delà de ces difficultés pour définir les critères de justice, nous pouvons souligner que la justice, par le biais des lois politiques, permet de limiter les inégalités et les excès de violence qui sont à l’œuvre dans la nature. Ainsi, en évitant la violence et le conflit, la justice instituée permet de rétablir les torts subis par qqun et de condamner les actes commis avec la plus grande neutralité possible.

En ce sens, Hegel illustre la distinction entre les faits (naturels) et le droit (institué) par la distinction entre la vengeance et la punition. Lorsqu’une injustice ou qu’un tort est subi, la vengeance consiste, sous l’impulsion d’une passion subjective, à commettre à son tour une injustice. Au contraire, la justice permet de réparer l’injustice en analysant la situation avec neutralité et impartialité, et en faisant appliquer la loi : une punition adaptée à l’acte commis permet de résoudre le déséquilibre crée. Ainsi, alors que la vengeance appelle de nouvelles vengeances, la punition par le juge est rationnelle et prononcée objectivement, sans favoriser une des parties. Cette neutralité permet de restaurer l’équilibre compromis par l’injustice, sans appeler à commettre de nouvelles injustices.

Texte de Hegel, Propédeutique philosophique : « La vengeance se distingue de la punition en ce que l’une est une réparation obtenue par un acte de la partie lésée, tandis que l’autre est l’œuvre d’un juge. C’est pourquoi il faut que la réparation soit effectuée à titre de punition, car, dans la vengeance, la passion joue son rôle et le droit se trouve ainsi troublé. De plus, la vengeance n’a pas la forme du droit, mais celle de l’arbitraire, car la partie lésée agit toujours par sentiment ou selon un mobile subjectif. Aussi bien le droit qui prend la forme de la vengeance constituant à son tour une nouvelle offense, n’est senti que comme conduite individuelle et provoque, inexpiablement, à l’infini, de nouvelles vengeances. »

Il semble donc que la justice, en faisant appliquer la loi, vient mettre fin au processus infini de violence et de vengeance. Elle est donc nécessaire au bon fonctionnement et à la sécurité d’une société.

C) La force du droit et des lois

De plus, la force des lois, dont la justice garantit l’application, réside dans leur généralité : les lois s’appliquent en théorie à tous de la même façon, sans faire d’exception. Selon Rousseau, la généralité des lois est la condition de possibilité de la liberté d’un peuple.

Texte 3 : Rousseau, Lettres écrites sur la montagne : « Il n’y a donc point de liberté sans lois, ni où quelqu’un est au-dessus des lois (…). Un peuple libre obéit, mais il ne sert pas ; il a des chefs et non pas des maîtres ; il obéit aux lois, mais il n’obéit qu’aux lois et c’est par la force des lois qu’il n’obéit pas aux hommes.»

La généralité des lois permet donc d’éviter l’arbitraire des décisions humaines.

Traitant tous les citoyens de la même façon, les lois renforcent le lien social autour de règles de vie communes. Ces lois sont des points de repère pour les citoyens, c’est la raison pour laquelle il est si difficile de les changer. D’ailleurs, les lois sont très souvent en retard par rapport aux phénomènes sociaux (expl : la loi de 1800 interdisant aux femmes de porter un pantalon n’a été abrogée qu’en 2013 !). C’est parfois la lutte pour les droits qui conduisent à un changement de lois (expl : en France, loi interdisant la peine de mort proposée par Badinter en 1981, loi Veil autorisant l’avortement en 1975…). Mais les citoyens doivent maintenir un niveau de vigilance important car les droits acquis ne le sont pas définitivement (expl : les lois autorisant l’avortement sont remises en causes dans un grand nombre de pays en Europe comme en Espagne, en Pologne ou en Irlande).

Exemple : débat sur France24 en 2016 sur les régressions du droit à l’avortement en Europe :

 

Transition : tout aussi forte soit-elle la justice comme institution est gérée par des individus susceptibles d’être corrompus et d’agir dans leur intérêt particulier.

II) La justice comme institution n’est qu’une apparence de justice et masque en réalité le droit du plus fort

Ce qui est inscrit dans les lois positives (instituées) et dans le droit positif, et que la justice comme institution est chargée de faire appliquer, peut masquer une injustice réelle. En cas de dérive de l’institution judiciaire et de corruption des juges, les lois et le droit positifs, loin de garantir l’égalité des citoyens, peuvent favoriser les plus forts, ceux qui détiennent le pouvoir, au détriment du peuple et des plus faibles. Une institution gérée par des hommes peut difficilement être impartiale, la justice instituée risque donc d’être partiale, et son pouvoir devient alors d’autant plus fort qu’elle se donne une apparence d’impartialité (jeu du symbole de la balance équilibrée sur l’imaginaire collectif). Toute la représentation qui entoure cette institution (le tribunal comme lieu d’exercice, les avocats pour chaque partie, les juges comme figure d’impartialité, leurs vêtements très codifiés, les textes de lois auxquels on ne cesse de faire référence…) n’est là que pour faire oublier l’injustice réelle que les juges font régner dans la société.

 

Sur l’arbitraire et l’artificialité des décisions de justice :

Sur l’enfer de l’administration de justice : Le Procès de Kafka

 

Expl : aucune loi internationale n’empêche véritablement l’existence de paradis fiscaux, alors que des lois régissent de façon précise le mode d’imposition des autres citoyens.

Le droit positif peut donc être utilisé comme une arme redoutable par ceux qui détiennent le pouvoir.

Selon Blaise Pascal, la justice n’est qu’une institution qui vient rendre légitimes les rapports de force qui existent dans la nature. Le principe d’organisation d’une société est la force et les jeux de domination. Mais la force étant ouvertement injuste, elle ne pouvait être maintenue comme telle, car cela aurait déclenché une réaction des plus faibles. Ainsi, pour faire oublier ces rapports de force, la justice a été instituée pour donner à la force et à la domination l’apparence de la légalité. Les apparences font oublier la réalité des rapports de force et légitiment la domination des plus forts. Le droit positif est donc l’instrument qu’utilisent les puissants pour masquer la violence qui soutient leur pouvoir. Le règne de la justice, loin de supprimer le règne de la force, substitue à la violence physique une violence symbolique comme principe d’ordre.

Texte de Pascal, Pensées, « Justice, force » : « Il est juste que ce qui est juste soit suivi ; il est nécessaire que ce qui est le plus fort soit suivi. La justice sans la force est impuissante ; la force sans la justice est tyrannique. La justice sans force est contredite, parce qu’il y a toujours des méchants. La force sans la justice est accusée. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force, et pour cela faire que ce qui est juste soit fort ou que ce qui est fort soit juste. La justice est sujette à dispute. La force est très reconnaissable et sans dispute. Aussi on n’a pu donner la force à la justice, parce que la force a contredit la justice et a dit qu’elle était injuste, et a dit que c’était elle qui était juste. Et ainsi, ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste. »

Pascal montre que la justice a besoin de la force pour s’appliquer (d’ailleurs, l’Etat peut, dans certains cas, recourir à la force physique pour contraindre qqun à respecter les lois) et que la force a besoin de la justice pour se légitimer. Les deux semblent donc complémentaires mais, dans la réalité, la force a dominé la justice et lui a usurpée son apparence pour se légitimer. La force a donc corrompu la justice et prétend juste être à sa place.

La force contraint, alors que la justice oblige. Nous sommes moralement obligés de respecter les lois et il est très difficile de ne pas obéir aux lois instituées, car l’obligation vient de nous-mêmes, et non d’une force extérieure. Si la force dominait ouvertement, nous pourrions nous opposer à cette force contraignante. Mais comme la force a pris l’apparence de la justice, nous nous y soumettons par nous-mêmes, sans toujours nous rendre compte que nous légitimons par là un rapport de force qui est souvent à notre désavantage.

De plus, la force est instable car, comme le remarque Rousseau, « le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître ». La justice donne donc à la force la stabilité qui lui manquait et la légitimité du recours à la force physique lorsque les lois ne sont pas respectées (expl : répression par la police dans les différentes manifestations au nom d’un non-respect de la loi).

Transition : Ainsi, il semble que la force ait pris à la justice son apparence pour légitimer la domination des plus forts. Mais peut-on s’arrêter à cette vision acerbe de la justice ? Ne doit-on pas reconnaître l’efficacité de la justice instituée et penser les moyens d’éviter la corruption de cette institution ?

C’est donc aux citoyens de s’assurer que la justice conserve son indépendance à l’égard des autres pouvoirs pour limiter les risques de corruption et de vérifier que les lois que la justice fait appliquer sont bien justes.

III) La référence au droit moral peut permettre de juger certaines lois injustes et d’y désobéir lorsque ces lois vont à l’encontre de valeurs comme la dignité, l’égalité ou la liberté

Nous avons vu que les lois tendent vers un idéal de justice mais que les critères de justice sont difficiles à définir, et leur décision relève de la délibération publique, laquelle est loin d’être évidente (expl : jusqu’où peut-on tolérer qu’une personne gagne plus qu’une autre sous prétexte qu’il travaille beaucoup ? En quoi peut-on dire qu’il est juste qu’un jeune PDG gagne 100 cent fois plus qu’un ouvrier en usine, alors même que son travail est bien moins pénible ? Peut-on accepter qu’il n’y ait pas de véritable proportionnalité entre les salaires reçus et les impôts payés ?…).

Par ailleurs, nous avons aussi vu que la force des lois était notamment dans leur généralité, dans le fait qu’elles s’appliquent à tous de la même façon. Mais cette généralité peut aussi être un défaut, car les lois ne prennent pas en compte les cas particuliers.

Expl : les lois interdisent le vol, mais que penser de la mère qui vole une pomme pour nourrir son enfant ? N’est-il pas injuste qu’elle soit condamnée à payer une amende ?

Comme le note Saint Thomas, la stricte application des lois est juste dans la plupart des cas. Cependant, les lois doivent être appliquées avec discernement pour tenir compte des cas particuliers. Ainsi, pour venir pallier les insuffisances de la justice comme institution, il existe une vertu qui permet de distinguer les cas où la loi doit s’appliquer strictement, et les cas où il faut contourner la loi : Saint Thomas la nomme « équité ».

Texte de Thomas d’Aquin, Somme théologique : « Parce que les actes humains pour lesquels on établit des lois consistent en des cas singuliers et contingents, variables à l’infini, il a toujours été impossible d’instituer une règle légale qui ne serait jamais en défaut. Mais les législateurs, attentifs à ce qui se produit le plus souvent, ont établi des lois en ce sens. Cependant, en certains cas, les observer va contre l’égalité de la justice, et contre le bien commun, visés par la loi. Aussi est-il clair que l’équité est une vertu. L’équité ne se détourne pas purement et simplement de ce qui est juste, mais de la justice déterminée par la loi. Et même, quand il le faut, elle ne s’oppose pas à la sévérité qui est fidèle à l’exigence de la loi ; ce qui est condamnable, c’est de suivre la loi à la lettre quand il ne le faut pas.»

L’équité ne s’oppose pas à la justice légale, et elle ne remet pas en cause les lois. Mais l’équité est la vertu nécessaire pour que l’application des lois soit juste. L’équité permet donc de penser la justesse dans l’application des lois. Les lois étant générales, elles traitent tous les citoyens avec égalité : les lois s’appliquent à tous les citoyens de la même façon, sans exception. Mais l’équité peut venir moduler l’application des lois aux différents cas particuliers : dans certains cas, il est juste d’adapter l’application de la loi au cas dans lequel on se trouve.

 

Ainsi, la modulation des lois et même la désobéissance aux lois sont parfois nécessaires, au nom même de la justice. Et cette désobéissance devient d’autant plus pertinente lorsque les lois sont elles-mêmes absurdes ou injustes.

La justice véritable ne consiste pas à obéir aveuglement aux lois parce qu’elles sont lois, mais à obéir aux lois car elles favorisent le bien-être et l’équilibre dans une société. Or, une corruption du pouvoir peut avoir pour effet que les lois soient injustes.

En ce sens, c’est la référence au droit moral et à notre vertu de justice qui peut nous permettre de juger injustes les lois instituées. Si les lois sont injustes, il fait partie du devoir civique et moral du citoyen d’y désobéir (expl : les « super-héros » comme Daredevil ou Batman agissent au nom de la justice, ils agissent illégalement pour pallier les insuffisances des lois et pour corriger leurs éventuelles injustices). Ce pouvoir du citoyen, Thoreau l’appelle « La désobéissance civile ».

Texte de Thoreau, La désobéissance civile :«Ne peut-il exister un gouvernement dans lequel les majorités ne décident pas virtuellement du juste et de l’injuste, mais bien plutôt la conscience ? – dans lequel les majorités ne décident que de ces questions où la règle de l’utilité est opérante ? Le citoyen doit-il un seul instant, dans quelque mesure que ce soit, abandonner sa conscience au législateur ? Pourquoi, alors, chacun aurait-il une conscience ? Je pense que nous devons d’abord être des hommes, des sujets ensuite. Le respect de la loi vient après celui du droit. La seule obligation que j’aie le droit d’adopter, c’est d’agir à tout moment selon qui me paraît juste. » (Remarque critique sur ce texte : même si nous avons l’impression de savoir intuitivement ce qui est juste, il est très difficile de donner des critères pour caractériser le sentiment ou la vertu de justice).

 

Pour expliquer la légitimité de certaines formes de désobéissances civiles, Arendt propose une distinction entre le « délinquant » et le « désobéissant ». Alors que le 1e cache au monde ses actes illégaux parce qu’il n’agit que dans son intérêt particulier, le 2nd revendique son idéal de justice pour agir illégalement, au nom même du droit et dans l’intérêt général.

Texte de Hannah Arendt, Du mensonge à la violence : « Il existe une différence essentielle entre le criminel qui prend soin de dissimuler à tous les regards ses actes répréhensibles et celui qui fait acte de désobéissance civile en défiant les autorités et s’institue lui-même porteur d’un autre droit. Cette distinction nécessaire entre une violation ouverte et publique de la loi et une violation clandestine a un tel caractère d’évidence que le refus d’en tenir compte ne saurait provenir que d’un préjugé allié à de la mauvaise volonté. Reconnue désormais par tous les auteurs sérieux qui abordent ce sujet, cette distinction est naturellement invoquée comme un argument primordial par tous ceux qui s’efforcent de faire reconnaître que la désobéissance civile n’est pas incompatible avec les lois et les institutions publiques […]. Le délinquant de droit commun, par contre, même s’il appartient à une organisation criminelle, agit uniquement dans son propre intérêt ; il refuse de s’incliner devant la volonté du groupe et ne cédera qu’à la violence des services chargés d’imposer le respect de la loi. Celui qui fait acte de désobéissance civile, tout en étant généralement en désaccord avec une majorité, agit au nom et en faveur d’un groupe particulier. Il lance un défi aux lois et à l’autorité établie à partir d’un désaccord fondamental, et non parce qu’il entend personnellement bénéficier d’un passe-droit. »

Conclusion :

Les lois et le droit positifs sont indispensables au bon fonctionnement d’une société, à la liberté d’un peuple, à l’égalité des citoyens, car ils permettent de substituer la justice au règne de la nature dans lequel ce sont les rapports de force et la violence qui gouvernent. Mais les lois positives, que la justice instituée fait appliquer, ne sont pas toujours justes, et c’est la justice comme vertu, morale et sociale, qui permet d’en juger.

En un mot, philosophons!

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