La perception

                           REFLEXION SUR LA PERCEPTION

Point de départ : expérience du casque de réalité virtuelle.

Notre cerveau se perd dans la contradiction des données sensorielles : notre vue et notre ouïe nous font croire que nous sommes dans un monde virtuellement crée, et notre oreille interne nous informe que nous sommes immobiles.

Par définition, la sensation est le processus par lequel nous recevons du monde extérieur des données, par le biais de nos organes des sens.

La perception est le processus d’interprétation intellectuelle de ces données sensorielles.

La sensation et la perception sont donc des opérations du sujet lui permettant d’entrer en lien avec le monde extérieur.

Le problème est que nos sens et l’interprétation que nous faisons de nos données sensorielles sont subjectifs et sujets à l’erreur (comme c’est le cas lorsqu’on met un casque de réalité virtuelle). On peut donc se demander si la perception peut conduire à la connaissance, cad à la compréhension des objets tels qu’ils sont (opposition entre subjectivité de la perception et objectivité de la connaissance).

=> Problématique : quel rôle joue la perception dans la construction de la connaissance ?

I) La perception, source d’erreur et d’illusion

A) L’opposition entre la perception et la connaissance

La perception est subjective. Elle dépend des sens de chaque sujet, de son expérience, de son vécu, des circonstances dans lesquelles il se trouve (expl : la perception du froid peut varier d’un individu à l’autre, mais aussi selon notre état de fatigue, notre humeur, notre état de santé…). Au contraire, la connaissance est universelle, elle est partagée par tous les sujets et est valable et vérifiable en toute circonstance. En ce sens, les mathématiques sont bien la science par excellence car, portant sur des objets abstraits, elles atteignent facilement l’universalité.

Aristote, 2nds analytiques : « la perception porte sur une réalité singulière, tandis que la science consiste dans le fait de connaître l’universel »

B) Les illusions des sens

La perception est une interprétation de données sensorielles diverses et changeantes. Or, ces données peuvent être trompeuses et l’interprétation que nous en tirons fausse. Par expl, si je plonge un bâton dans l’eau, je peux croire en voyant le bâton qu’il s’est brisé alors que c’est seulement le changement de milieu qui donne cette impression. Si je n’ai pas la connaissance intellectuelle et théorique du phénomène de diffraction, je peux faire une erreur sur l’état du bâton.

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Comme le note Descartes dans les Réponses aux objections aux Méditations métaphysiques, « c’est l’entendement (=faculté de raisonner) qui corrige l’erreur des sens ». Nous ne pouvons donc pas faire confiance à nos sens pour accéder à la connaissance. Par cette idée, Descartes confirme sa vision dualiste : les données corporelles ne sont pas fiables, seul l’esprit peut véritablement connaître.

Ainsi, on peut remarquer qu’au quotidien, on doit faire confiance à nos données sensorielles car ce sont elles qui nous permettent de survivre (expl : rôle de la douleur pour nous informer d’une situation d’urgence). Mais dans le domaine de la connaissance, la perception n’est pas assez fiable pour construire un énoncé solide.

En insistant sur le pouvoir trompeur des sens, on pourrait même aller jusqu’à dire que la connaissance doit se construire en rupture avec le monde que nous percevons par nos sens. Dans « L’Allégorie de la Caverne » dans La République, Platon montre que les sens ne nous donnent qu’une image, toujours partielle, illusoire et changeante, des choses. Le monde des images, auquel on accède par nos sens, est le monde dans lequel vivent les prisonniers de la caverne. Pour connaître les objets tels qu’ils sont en eux-mêmes, il faut avoir le courage et la force de se retourner et d’entreprendre l’ascension hors de la caverne, ascension qui permettra la contemplation du monde intellectuel des Idées.

 

Transition du I au II : la perception, cad l’interprétation que nous faisons de nos données sensorielles et corporelles, est indispensable pour notre survie mais ne semble pas assez stable et solide pour construire une connaissance objective du monde. Cependant, est-il possible de connaître qqch sans l’avoir d’abord senti ? Peut-on séparer aussi radicalement le sensible et l’intellectuel ? Peut-être que la connaissance ne se réduit pas à la perception, mais la perception reste le premier pas vers la connaissance car c’est le biais par lequel nous sommes en contact avec le monde.

 II) La perception, intermédiaire entre le sujet et le monde

A) De la sensation à la perception

Contrairement à la sensation dans laquelle le sujet reçoit des informations par ses sens, la perception exige du sujet qu’il soit conscient car elle correspond à l’interprétation que le sujet fait des données sensorielles. La perception est l’activité de synthèse d’un ensemble de données pour reconstituer la globalité d’un objet (expl : la vue m’indique une forme changeante rouge et orange, l’ouïe un crépitement, l’odorat du bois qui brûle, le toucher de la chaleur : la synthèse de ces données me permet de me situer face à un feu de cheminée).

En ce sens, la perception, en plus de jouer un rôle pour notre survie, ne permet-elle pas d’avoir un 1e contact avec les choses ?

B) La perception, entre objectivité et subjectivité

La perception est toujours subjective mais elle n’est pas pour autant une pure invention de notre imagination. La perception permet un contact avec l’objet concret.

Selon les philosophes phénoménologues comme Husserl, la perception est une étape centrale dans le processus de connaissance des objets. Elle est même la condition pour que le sujet connaisse et vive dans le monde. En ce sens, Husserl distingue clairement la représentation de l’imagination et le contact avec l’objet dans la perception.

Husserl, Chose et Espace : « Dans la perception (…), l’objet se tient là comme en chair et en os, il se tient là, à parler plus exactement encore, comme actuellement présent, comme donné en personne dans le Maintenant actuel. Dans l’imagination, l’objet ne se tient pas là sur le mode de la présence-en-chair-et-en-os de l’effectivité, de la présence actuelle. Il se tient certes devant nos yeux, mais non comme un donné en acte maintenant ».

Selon les phénoménologues, il n’existe pas de monde objectif hors du monde perçu par notre conscience, il n’existe pas de chose objective en soi hors de la chose telle que nous la percevons. Il serait complètement fou de penser qu’il existe un monde intellectuel séparé du monde sensible, et auquel on pourrait accéder par un acte de l’esprit seul. En tant que sujets, notre esprit et notre corps sont intrinsèquement mêlés et il est absurde de prétendre connaître sans sentir.

Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception : « Il ne faut pas se demander si nous percevons vraiment un monde, il faut dire au contraire : le monde est cela que nous percevons ».

Transition du II au III : il serait absurde de penser une connaissance des choses purement spirituelle, car le seul contact que nous avons avec le monde extérieur est corporel et perceptif. Il faut donc partir de la perception pour construire la connaissance. Pour cela, il faut adopter une méthode pour ne pas tomber dans les biais de la subjectivité.

 III) Eduquer la perception pour permettre la connaissance

A) La perception, un acte construit

Sentir, c’est recevoir des données du monde extérieur. Percevoir, c’est interpréter ces données. Or, cette interprétation relève d’une éducation et d’un apprentissage. Les sens et la raison coopèrent dans la perception. En ce sens, nous pouvons apprendre à ne jamais nous fier entièrement à une seule donnée sensorielle, mais à toujours chercher à diversifier ces données (expl : au lieu de me fier seulement à ma vue pour dire que le bâton est rompu, je peux le confirmer ou l’infirmer en touchant le bâton). De toute façon, nous n’avons jamais accès à la totalité d’un objet par nos sens et notre cerveau vient toujours combler le vide, en créant du sens. Le philosophe Alain donne l’exemple d’un dé à 6 faces : nous ne voyons jamais les 6 faces en même temps, et pourtant nous sommes capables d’identifier rapidement l’objet comme un dé. Cette identification est permise par un apprentissage, mis en place depuis notre plus jeune âge. C’est donc notre expérience, personnelle et transmise par l’éducation, qui nous permet de connaître les objets.

B) Limiter le risque d’erreur

Ce ne sont pas les sens qui nous trompent directement, mais l’erreur vient de notre interprétation des données sensorielles. Comme le remarque Kant, les données des sens sont neutres, elles ne sont ni vraies ni fausses (expl : je vois bien un bâton rompu). L’erreur vient de nous, de l’interprétation que nous faisons des données des sens.

Kant, Critique de la raison pure : « Si on peut dire que les sens ne nous trompent pas, ce n’est point parce qu’ils jugent toujours juste, mais parce qu’ils ne jugent pas ».

Nous sommes donc pleinement responsables de nos erreurs de jugement. Il faut s’en prémunir en nous méfiant de nos 1e impressions sur les choses et en prenant le temps de vérifier ce qui nous apparaît.

En ce sens, Bachelard (La formation de l’esprit scientifique) conseille de pratiquer la science en se méfiant de notre 1e observation des choses. Il faut nous habituer à prendre le temps de connaître en allant toujours au-delà des apparences (expl : ne pas se fier à notre vue pour évaluer la distance entre la Terre et le Soleil). En science, cette démarche polémique exige de la part du scientifique beaucoup d’effort, de temps et de rigueur.

C) Elargir la perception

Pour connaître, il ne s’agit pas seulement de rompre avec nos perceptions. Il s’agit surtout de les élargir pour diversifier les points de vue et pour mieux saisir la globalité d’un phénomène. Cette ouverture relève aussi d’une éducation particulière. Au quotidien, nous avons l’habitude de ne percevoir dans le monde que ce dont nous avons immédiatement besoin (expl : ma vision nette représente une infime partie de mon champ visuel).

Pour élargir notre perception, il faut donc nous habituer à être plus sensible, plus ouvert sur le monde. Selon Bergson, l’art est un moyen précieux pour élargir notre perception, pour nous inciter à voir et à sentir les choses autrement et plus complètement. La plupart du temps, nous avons besoin d’agir et l’action exige de l’efficacité. Mais l’action limite la perception à l’essentiel, si bien que nous n’avons accès qu’à la surface des choses et de nous-mêmes. Par l’art, nous prenons le temps d’approfondir notre rapport au monde et à nous-mêmes. L’art nous permet à la fois de partager le point de vue d’autrui  et d’adopter avec les choses un rapport non utilitaire, fondé sur la seule contemplation (expl : voir une corbeille de pommes peinte par Cézanne permet de regarder celle qui est dans notre cuisine autrement, regarder un coucher de soleil peint par Turner permet de regarder la lumière de chaque crépuscule, écouter un prélude de Bach change notre rapport au temps qui passe, contempler l’immensité d’une cathédrale nous fait apprécier un bâtiment sans y voir un logement…).

Paul Cezanne - Still Life with Apples in a Bowl, 1882
Cezanne, Nature morte avec pommes (1882)
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Turner, Coucher de soleil écarlate (1830)

 

 

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Cathédrale de Reims

Bergson, Le Rire : «Quel est l’objet de l’art ? Si la réalité venait frapper directement nos sens et notre conscience, si nous pouvions entrer en communication immédiate avec les choses et avec nous-mêmes, je crois bien que l’art serait inutile, ou plutôt que nous serions tous artistes, car notre âme vibrerait alors continuellement à l’unisson de la nature. Nos yeux, aidés de notre mémoire, découperaient dans l’espace et fixeraient dans le temps des tableaux inimitables. Notre regard saisirait au passage, sculptés dans le marbre vivant du corps humain, des fragments de statue aussi beaux que ceux de la statuaire antique. Nous entendrions chanter au fond de nos âmes, comme une musique quelquefois gaie, plus souvent plaintive, toujours originale, la mélodie ininterrompue de notre vie intérieure. Tout cela est autour de nous, tout cela est en nous, et pourtant rien de tout cela n’est perçu par nous distinctement. Entre la nature et nous, que dis-je ? Entre nous et notre propre conscience, un voile s’interpose, voile épais pour le commun des hommes, voile léger, presque transparent, pour l’artiste et le poète. Quelle fée a tissé ce voile ? Fut-ce par malice ou par amitié ? Il fallait vivre, et la vie exige que nous appréhendions les choses dans le rapport qu’elles ont à nos besoins. Vivre consiste à agir. Vivre, c’est n’accepter des objets que l’impression utile pour y répondre par des réactions appropriées : les autres impressions doivent s’obscurcir ou ne nous arriver que confusément. Je regarde et je crois voir, j’écoute et je crois entendre, je m’étudie et je crois lire dans le fond de mon cœur. Mais ce que je vois et ce que j’entends du monde extérieur, c’est simplement ce que mes sens en extraient pour éclairer ma conduite ; ce que je connais de moi-même, c’est ce qui affleure à la surface, ce qui prend part à l’action. (…) L’art n’est sûrement qu’une vision plus directe de la réalité. Mais cette pureté de perception implique une rupture avec la convention utile, un désintéressement inné et spécialement localisé du sens ou de la conscience ».

En un mot, philosophons!

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