La morale et le devoir

MORALE ET DEVOIR

Point de départ : vidéo Et tout le monde s’en fout « Les valeurs »

Notre éducation et la société nous transmettent un grand nombre de valeurs (liberté, égalité, fraternité, autonomie, travail, respect, famille, amitié, charité…). Chacun a ses propres valeurs, ou du moins sa propre hiérarchie de valeurs. Mais les valeurs doivent être distinguées des croyances en ce qu’elles motivent le « pourquoi » de nos actions, alors que nos croyances déterminent « comment » nous agissons. Certaines valeurs sont variables (comme la valeur travail) et d’autres sont universelles, cad partagées dans toutes les cultures et à toutes les époques. Le psychologue social Shalom Schwartz recense 10 valeurs universelles principales : autonomie, stimulation, hédonisme, réussite, pouvoir, sécurité, conformité, tradition, bienveillance, universalisme.

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Représentation des valeurs universelles selon Schwartz

Parmi ces valeurs, seules certaines sont des valeurs morales, au sens où ces valeurs nous poussent à agir en fonction d’une certaine conception de ce qui est bien ou mal, bon ou mauvais, par rapport à autrui. Si certaines de nos valeurs morales sont universelles, nous pouvons nous demander d’où vient notre réflexion morale, notre tendance à juger que tel acte est plutôt bon, tel autre mauvais et notre tendance à agir selon cette distinction.

La morale est-elle innée, naturelle et universelle ou acquise et relative ? Pourquoi nous sentons-nous obligés de faire notre devoir ? Faire son devoir, est-ce appliquer des principes abstraits ou adapter la morale aux situations particulières ?

Définitions :

  • Morale : ensemble de règles de conduite et de valeurs lié à une certaine représentation de ce qui est bien et de ce qui est mal. Cette représentation nous permet de juger nos actions et celles d’autrui, et contribue donc à la pérennité du lien social.

Remarque : contrairement au droit qui contraint, la morale oriente nos actions et nous oblige à agir d’une certaine façon (expl : je ne suis pas condamné par la loi si je mens à mon ami, mais la morale m’incite à lui dire la vérité).

  • Devoir = obligation qui incombe à un sujet libre et conscient.

Obligation = limite que se fixe l’homme intérieurement.

Cf. Goethe : « Le devoir : aimer ce que l’on se prescrit à soi-même »

=> Problématique : Alors que faire son devoir semble consister à appliquer un ensemble de principes moraux innés, abstraits et universels essentiellement fondés sur le respect d’autrui, ne doit-on pas aussi reconnaître que les règles morales sont culturelles, relatives et nos comportements, pour être moraux, doivent être adaptés aux situations concrètes particulières qui se présentent ?

I- Agir moralement et faire son devoir, c’est appliquer un ensemble de principes innés, abstraits et universels

A)  La morale est innée et inscrite dans les sentiments

Face à certains événements, nous avons l’impression de sentir ce qui est bien (expl : partir en Afrique faire de l’humanitaire) et ce qui est mal (expl : maltraiter son enfant). Est-ce parce que les principes moraux seraient inscrits dans notre conscience et dans nos sentiments ? Faire son devoir serait alors écouter une sorte de voix intérieure, qui serait la même en tous.

Rousseau, Emile IV : « Conscience ! conscience ! instinct divin, immortelle et céleste voix ; guide assuré d’un être ignorant et borné, mais intelligent et libre ; juge infaillible du bien et du mal, qui rends l’homme semblable à Dieu, c’est toi qui fais l’excellence de sa nature et la moralité de ses actions ; sans toi je ne sens rien en moi qui m’élève au-dessus des bêtes, que le triste privilège de m’égarer d’erreurs en erreurs à l’aide d’un entendement sans règle et d’une raison sans principe. Grâce au ciel, nous voilà délivrés de tout cet effrayant appareil de philosophie : nous pouvons être hommes sans être savants ; dispensés de consumer notre vie à l’étude de la morale, nous avons à moindres frais un guide plus assuré dans ce dédale immense des opinions humaines. Mais ce n’est pas assez que ce guide existe, il faut savoir le reconnaître et le suivre. S’il parle à tous les coeurs, pourquoi donc y en a-t-il si peu qui l’entendent ? Eh ! c’est qu’il parle la langue de la nature que tout nous a fait oublier. La conscience est timide, elle aime la retraite et la paix ; le monde et le bruit l’épouvantent ; les préjugés dont on l’a fait naître sont ses plus cruels ennemis […], le fanatisme ose la contrefaire et dicter le crime en son nom. »

Recherche de ce qu’est la nature humaine. Imagination d’un « état de nature ». Existence d’un sentiment naturel qui nous pousse vers autrui et qui nous incite au respect : la pitié.

La pitié est un sentiment naturel, personne ne peut rester indifférent face à la souffrance d’autrui. La conscience morale est une voix intérieure, « principe inné de justice et de vertu », qui nous fait ressentir le bien et le mal, la justice et l’injustice.

B) La morale est innée et vient de la raison

Les sentiments sont-ils suffisants pour fonder la morale ? Selon Kant, les sentiments sont personnels et changeants, on ne peut donc pas s’y fier pour agir moralement et pour faire son devoir.

Si la morale est universelle, c’est parce qu’elle est issue de la raison. La raison nous dicte notre devoir sous forme de lois universelles et immuables.

Contrairement à nos raisonnements quotidiens qui visent l’efficacité et l’utilité (expl : si je veux du pain, je dois aller à la boulangerie) et que Kant appelle « impératifs hypothétiques », la raison dicte notre devoir sous la forme d’« impératifs catégoriques », cad inconditionnels et incontournables. Les lois morales définissent ce que nous devons faire dans toute circonstance et sans aucune condition.

Devoir = intégration dans les règles de sa conduite, sous l’effet de la raison, de lois qui m’obligent et qui obligent autrui à respecter les hommes, leur dignité et leurs droits.

Texte de Kant, Métaphysique des mœurs : « […] tous les impératifs commandent soit hypothétiquement, soit catégoriquement. Les premiers représentent la nécessité pratique d’une action possible, en tant qu’elle constitue un moyen de parvenir à quelque chose d’autre que l’on veut (ou en tout cas dont il est possible qu’on le veuille). Quant à l’impératif catégorique, il serait celui qui représenterait une action considérée pour elle-même, sans relation à une autre fin, comme objectivement nécessaire. […] Quand je conçois un impératif hypothétique en général, je ne sais pas à l’avance ce qu’il contiendra, jusqu’à ce que la condition me soit donnée. Mais si je conçois un impératif catégorique, je sais immédiatement ce qu’il contient, car, dans la mesure où l’impératif ne contient en dehors de la loi que la nécessité qui s’impose à la maxime d’être conforme à cette loi, mais que la loi ne contient aucune condition qui vienne la limiter, il ne reste rien d’autre que l’universalité d’une loi en général, à laquelle la maxime de l’action doit être conforme, et c’est uniquement cette conformité que l’impératif fait apparaître véritablement comme nécessaire. Il n’y a donc qu’un unique impératif catégorique, et c’est celui-ci: Agis seulement d’après la maxime grâce à laquelle tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle. »

Cependant, Kant reconnaît la difficulté des hommes à agir par pur respect du devoir. Or, il ne suffit pas de faire son devoir pour agir moralement. Si ce qui nous pousse à agir n’est pas le respect de la loi morale mais la crainte, l’espérance ou encore l’intérêt, nous n’agissons pas « par devoir », mais seulement « conformément au devoir ».

Expl : être bienfaisant est un devoir mais l’action n’est pas toujours morale car nous pouvons être bienfaisant par peur que personne ne le soit à notre égard, par espoir d’obtenir qqch en retour, ou encore parce que nous voulons acquérir une certaine réputation sociale.

Remarque : à partir de la théorie kantienne, on peut se questionner sur le lien entre morale et religion. En effet, la religion vient souvent justifier les actions morales. Mais être charitable parce que l’on espère accéder au Paradis, est-ce vraiment agir moralement ? Doit-on évaluer la moralité dans les intentions ou dans les effets de l’action ? Les philosophes utilitaristes comme Bentham défendront la thèse selon laquelle non seulement la morale n’a aucun fondement inné mais seulement culturel, mais aussi que la valeur morale d’une action repose sur son utilité : une société détermine comme devoirs les actions favorables au bonheur du plus grand nombre.

Vidéo Monsieur Phi « La religion empêche-t-elle d’être moral ? »

Est-il seulement possible d’agir par devoir, par pur respect de la loi morale ? L’action morale par devoir n’est-elle pas un idéal inaccessible ?

Cf. Péguy : « Le kantisme a les mains pures, mais il n’a pas de mains »

Transition : Si les lois morales pures sont pour l’action humaine un idéal, ne peut-on pas penser une morale plus réaliste, et peut-être plus humaine, qui prenne en compte une variabilité possible de ses principes ?

 II- Agir moralement, c’est suivre les principes moraux de notre époque et de notre culture

A) La morale repose sur la coutume, l’éducation et l’habitude

Apparence naturelle de certains principes moraux (expl : porter secours à une personne en difficulté) mais cette apparence vient du fait que la coutume est devenue pour nous une « seconde nature ». Comme le remarque Pascal « la coutume peut tout », y compris occulter l’origine conventionnelle et culturelle d’une règle morale. En réalité, les conceptions du bien et du mal ne sont pas naturelles et immuables, mais relatives et susceptibles de changer. La morale suit l’évolution des mœurs. Faire son devoir, c’est donc d’abord agir en fonction des lois et coutumes de son pays.

Texte de Pascal, Pensées : « Qu’est-ce que nos principes naturels sinon nos principes accoutumés ? (…) La coutume est une seconde nature, qui détruit la première. Mais qu’estce que nature ? Pourquoi la coutume nestelle pas naturelle ? Jai grand peur que cette nature ne soit ellemême quune première coutume, comme la coutume est une seconde nature. »

« J’ai vu tous les pays et hommes changeants. Et ainsi, après bien des changements de jugement touchant la véritable justice, j’ai connu que notre nature n’était qu’un continuel changement, et je n’ai plus changé depuis. (…) La coutume ne doit être suivie que parce qu’elle est coutume, et non parce qu’elle est raisonnable ou juste, mais le peuple la suit par cette seule raison qu’il la croit juste »

Les morales existantes sont donc diverses et relatives. Elles ne sont pas absolues mais ont le mérite d’être utiles, en régulant les comportements au sein d’une société. Il faut que chacun suive les règles morales propres à sa culture, même s’il ne faut pas les suivre aveuglément, sans aucun esprit critique.

Avant Pascal, Montaigne avait déjà affirmé le relativisme moral et culturel. Il montrait que ce que nous jugeons mauvais, injuste ou barbare dans d’autres cultures émane d’un jugement ethnocentrique car les valeurs morales varient en fonction des cultures.

Texte de Montaigne, Essais, I 22 « Sur l’habitude » : « Les lois de la conscience, dont nous disons qu’elles naissent de la nature, naissent de la tradition : chacun vénère intérieurement les opinions et les mœurs reçues et acceptées autour de lui, et il ne peut s’en détacher sans remords, ni s’y appliquer sans les approuver. […] [L]e principal effet de la puissance de la tradition, c’est qu’elle nous saisit et nous enserre de telle façon que nous avons toutes les peines du monde à nous en dégager et à rentrer en nous-mêmes pour réfléchir et discuter ce qu’elle nous impose. En fait, parce que nous les absorbons avec notre lait à la naissance, et que le monde se présente à nous sous cet aspect la première fois que nous le voyons, il semble que nous soyons faits pour voir les choses comme cela. Et les opinions courantes que nous trouvons en vigueur autour de nous, infusées en notre esprit par la semence de nos pères, nous semblent de ce fait naturelles et universelles. Il résulte de tout cela que ce qui est en dehors des limites de la coutume, on croit que c’est en dehors des limites de la raison : dieu sait combien cette idée est déraisonnable, le plus souvent. […] Celui qui voudra se détacher du tenace préjugé de la coutume trouvera que bien des choses reçues comme indiscutables n’ont cependant de fondement que dans la barbe blanche et les rides de l’usage qui les accompagne. »

B) La morale est un dressage

Si la morale n’est pas naturellement inscrite dans la nature humaine, alors les notions de bien et de mal n’existent pas dans la nature. Pourtant, il a été facile à certains hommes de s’emparer de l’apparente naturalité de ces notions pour manipuler les autres hommes, et pour créer en eux des sentiments comme la culpabilité, et des valeurs comme le martyr ou le sens du sacrifice. Or, comme le note Nietzsche, ces sentiments et valeurs sont « hostiles à la vie », contraires à la force vitale en chacun de nous. La morale est selon lui née d’un ressentiment de certains hommes qui, naturellement trop faibles, ont décidé d’étouffer la vie en manipulant les autres, notamment les plus forts. La morale et la religion se donnent l’apparence de l’universalité alors que leur origine est historique et culturelle. Cette apparence a permis de manipuler les foules en encadrant leurs réactions et comportements : « la moralité des mœurs et la camisole de force sociale ont rendu l’homme vraiment prévisible » (Généalogie de la morale, 2e dissertation). Cette prévisibilité permet de les canaliser et de les maintenir dans la peur et la dépendance permanentes.

La morale n’est donc pas innée mais acquise, et elle est le fruit tardif d’un dressage politique et religieux qui a progressivement permis d’encadrer les comportements. Les valeurs de cette morale, que Nietzsche lie directement aux valeurs transmises par la religion chrétienne, sont néfastes et  incompatibles avec la vie. Dans ce texte, Nietzsche s’attaque en particulier à la culpabilité sans cesse manipulée par les autorités religieuses.

Texte de Nietzsche, Le crépuscule des idoles : « De tout temps on a voulu « améliorer » les hommes : c’est cela, avant tout, qui s’est appelé morale. Mais sous ce même mot « morale » se cachent les tendances les plus différentes. La domestication de la bête humaine, tout aussi bien que l’élevage d’une espèce d’hommes déterminée, est une « amélioration » : ces termes zoologiques expriment seuls des réalités, — mais ce sont là des réalités dont l’ « améliorateur » type, le prêtre, ne sait rien en effet, — dont il ne veut rien savoir…

Appeler «  amélioration » la domestication d’un animal, c’est là, pour notre oreille, presque une plaisanterie. Qui sait ce qui arrive dans les ménageries, mais je doute bien que la bête y soit « améliorée ». On l’affaiblit, on la rend moins dangereuse, par le sentiment dépressif de la crainte, par la douleur et les blessures on en fait la bête malade. — Il n’en est pas autrement de l’homme apprivoisé que le prêtre a rendu « meilleur ». Dans les premiers temps du Moyen-Âge, où l’Église était avant tout une ménagerie, […] on « améliorait » par exemple les nobles Germains. Mais quel était après cela l’aspect d’un de ces Germains rendu « meilleur » et attiré dans un couvent ? Il avait l’air d’une caricature de l’homme, d’un avorton : on en avait fait un « pécheur », il était en cage, on l’avait enfermé au milieu des idées les plus épouvantables… Couché là, malade, misérable, il s’en voulait maintenant à lui-même ; il était plein de haine contre les instincts de vie, plein de méfiance envers tout ce qui était encore fort et heureux. En un mot, il était « chrétien »… Pour parler physiologiquement : dans la lutte avec la bête, rendre malade est peut-être le seul moyen d’affaiblir. C’est ce que l’Eglise a compris : elle a perverti l’homme, elle l’a affaibli, — mais elle a revendiqué l’avantage de l’avoir rendu « meilleur ». »

Vidéo Monsieur Phi : Nietzsche et la morale

 

Transition : Doit-on alors renoncer à toute morale ?Pour sauver la morale, et par là même les relations entre les êtres vivants, il nous faut peut-être envisager une certaine solidité de la morale, à travers des sentiments humains universels, tout en admettant sa dimension culturelle et historique.

III- La morale a une certaine portée universelle mais doit être adaptée aux situations particulières pour que le devoir ait une valeur morale

A) La limite morale du devoir

Si faire son devoir se limite à obéir aux lois, coutumes et ordres de son pays, n’y-a-t-il pas un risque que le devoir devienne amoral, voire immoral ?

Hannah Arendt remarque que la référence au devoir est dangereuse, au sens où on peut l’utiliser pour se déresponsabiliser de certains de nos actes. Ainsi, au procès du criminel nazi Eichmann, Arendt constate qu’Eichmann se défend en affirmant qu’il n’a fait que son devoir. Il utilise donc le devoir pour justifier ses actes et son aveuglément.

Or, Arendt montre que, dans ce cas, faire son « devoir » n’était pas moral, et que si Eichmann a agi de la sorte, c’est parce qu’il n’a pas exercé son esprit critique, parce qu’il n’a pas « pensé ».

Texte d’Arendt, Eichmann à Jérusalem : « Autant qu’il pût en juger, Eichmann agissait, dans tout ce qu’il faisait, en citoyen qui respecte la loi. Il faisait son devoir, répéta-t-il mille fois à la police et au tribunal. Il obéissait aux ordres, mais aussi à la loi. (…) Il avait accompli ce qu’il considérait comme son devoir de citoyen respectueux de la loi. Lui qui tenait tant à être « couvert », il avait agi selon les ordres. (…) L’on s’en aperçut pour la première fois lorsqu’au cours de l’interrogatoire de la police, Eichmann déclara soudain, en appuyant sur les mots, qu’il avait vécu toute sa vie selon les préceptes moraux de Kant, et particulièrement selon la définition que donne Kant du devoir. À première vue, c’était là faire outrage à Kant. C’était aussi incompréhensible : la philosophie morale de Kant est, en effet, étroitement liée à la faculté de jugement que possède l’homme, et qui exclut l’obéissance aveugle. Le policier n’insista pas, mais le juge Raveh, intrigué ou indigné de ce qu’Eichmann osât invoquer le nom de Kant en liaison avec ses crimes, décida d’interroger l’accusé. C’est alors qu’à la stupéfaction générale, Eichmann produisit une définition approximative, mais correcte, de l’impératif catégorique « Je voulais dire, à propos de Kant, que le principe de ma volonté doit toujours être tel qu’il puisse devenir le principe des lois générales. » (…) Mais il n’avait pas simplement écarté la formule kantienne, il l’avait déformée. De sorte qu’elle disait maintenant : « Agissez comme si le principe de vos actes était le même que celui des législateurs ou des lois du pays. » Cette déformation correspondait d’ailleurs à celle de Hans Frank, auteur d’une formulation de « l’impératif catégorique dans le Troisième Reich » qu’Eichmann connaissait peut-être : « Agissez de telle manière que le Führer, s’il avait connaissance de vos actes, les approuverait .» Certes, Kant n’a jamais rien voulu dire de tel. Au contraire, tout homme, selon lui, devient législateur dès qu’il commence à agir ; en utilisant sa « raison pratique », l’homme découvre les principes qui peuvent et doivent être les principes de la loi. »

Le devoir est donc en partie culturel mais il ne doit jamais être fait lorsque, dans sa forme et dans son fond, il s’éloigne trop des sentiments humains fondamentaux qui nous invitent à respecter autrui.

Ce qui choque Hannah Arendt lorsqu’elle voit Eichmann à son procès, c’est qu’il s’agit d’un homme d’une grande banalité et médiocrité, alors qu’elle imaginait rencontré un monstre mu par une folie destructrice. Ce constat troublant lui a permis de développer le concept de « banalité du mal » : adopter une attitude immorale est facile et tentant pour tous.

On retrouve cette idée dans une expérience de psychologie menée par Stanley Milgram dans les années 1960 : Milgram propose une expérience pour étudier le degré de soumission à l’autorité et la facilité à tomber dans l’immoralité. Dans cette expérience, les sujets acceptent de participer, sous l’autorité d’une personne supposée compétente, à une expérience d’apprentissage où il leur sera demandé d’appliquer des traitements cruels (décharges électriques) à des tiers sans autre raison que de « vérifier les capacités d’apprentissage ». Même si la méthodologie de l’expérience a été fortement critiquée, les résultats de l’expérience montrent que de nombreux sujets vont loin dans l’application des décharges électriques lorsque l’autorité leur impose de le faire.

Vidéo Psylab « I comme Icare et l’expérience de Milgram »

Il ne suffit donc pas de faire référence au « devoir » pour agir moralement.

B) Faire son devoir, c’est savoir agir moralement dans des situations toujours singulières

La morale n’est pas un ensemble de lois ou de principes abstraits et universels, qu’il s’agirait d’appliquer aveuglément. Le critère de la morale n’est pas l’obéissance inconditionnelle, mais la pensée, cad la capacité à analyser les situations et à mesurer nos actes et leurs conséquences réelles. Aristote appelle « prudence » l’exercice d’une vertu intellectuelle de l’homme sage, qui permet d’agir le plus moralement possible en prenant toujours en compte la singularité de chaque situation. Il ne s’agit pas d’agir aveuglément, mais de réfléchir à l’adaptation de nos principes moraux aux situations dans lesquelles nous nous trouvons. C’est en ce sens qu’Aristote distingue la morale et l’éthique. La prudence est une forme de délibération intérieure grâce à laquelle le sage mesure la difficulté et les conséquences d’une décision à prendre, dans une situation donnée, à un moment donné.

Texte d’Aristote, Ethique à Nicomaque VI : « Une façon dont nous pourrions appréhender la nature de la prudence c’est de considérer quelles sont les personnes que nous appelons prudentes. De l’avis général, le propre d’un homme prudent c’est d’être capable de délibérer correctement sur ce qui est bon et avantageux pour lui-même, non pas sur un point partiel (par exemple quelles sortes de choses sont favorables à la santé ou à la vigueur du corps), mais d’une façon générale, quelles sortes de choses par exemple conduisent à la vie heureuse. (…) En effet, les principes de nos actions consistent dans la fin à laquelle tendent nos actes ; mais à l’homme corrompu par l’attrait du plaisir ou la crainte de la douleur, le principe n’apparaît pas immédiatement, et il est incapable de voir en vue de quelle fin et pour quel motif il doit choisir et accomplir tout ce qu’il fait, car le vice est destructif du principe.(…) Or la prudence a rapport aux choses humaines et aux choses qui admettent la délibération : car le prudent, disons-nous, a pour oeuvre principale de bien délibérer ; mais on ne délibère jamais sur les choses qui ne peuvent être autrement qu’elles ne sont, ni sur celles qui ne comportent pas quelque fin à atteindre, fin qui consiste en un bien réalisable. Le bon délibérateur au sens absolu est l’homme qui s’efforce le meilleur des biens réalisables pour l’homme, et qui le fait par raisonnement. La prudence n’a pas non plus seulement pour objet les universels mais elle doit aussi avoir la connaissance des faits particuliers, car elle est de l’ordre de l’action, et l’action a rapport aux choses singulières. C’est pourquoi aussi certaines personnes ignorantes sont plus qualifiées pour l’action que d’autres qui savent, c’est le cas notamment des gens d’expérience. »

Pour conclure :

En un mot, philosophons!

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