La religion

                                                                          LA RELIGION

Point de départ : Caricature Fanch Ar Ruz « Les dogmes du ciel »

dogmes du ciel

Tag de l’artiste Combo « Coexist » : mot-valise où sont juxtaposés les symboles des 3 grandes religions monothéistes (judaïsme, christianisme et islam). Message engagé de l’artiste pour défendre la tolérance entre les croyants des différentes religions et pour éviter les dérives extrémistes et les guerres menées au nom des religions.

coexist combo

Le terme « religion » renvoie à la fois à la croyance personnelle et à l’appartenance à une communauté qui partage une même croyance. Il existe une grande diversité de religions.

Double étymologie :

–              «religere » = « recueillir » : idée de recueillement au sein de l’intériorité

–              « religare » = « relier » : création d’un lien des hommes avec les dieux et d’un lien des hommes entre eux

 => Problématique : Si la religion est à l’origine un lien, qui permet à un homme de se recueillir et qui unit les hommes entre eux, comment expliquer que les religions puissent s’affronter entre elles et que des guerres puissent être menées au nom des religions ? 

I) La religion est une union, un lien entre l’homme et Dieu et entre les hommes eux-mêmes

Dans toutes les cultures et à toutes les époques, on trouve des religions sous différentes formes.

D’où vient cette tendance des hommes à croire qu’il existe un ou plusieurs être supérieurs (qui nous observent, nous jugent et nous prendrons en charge après notre mort) et à s’unir autour de croyances communes ?

Face à des phénomènes qui échappent à sa compréhension, l’homme a besoin de donner du sens. Pour cela, il peut recourir à la science, qui propose d’expliquer rationnellement ce qui est observé, ou à la croyance, qui invente un sens pour rendre compte du phénomène (expl : un arc-en-ciel peut être expliqué par la diffraction de la lumière du soleil dans les goulettes en suspension dans l’atmosphère mais peut aussi être interprété comme un pont entre la terre et le ciel (comme dans la religion chrétienne), ou encore comme l’indication divine du lieu d’un trésor (croyance irlandaise)). Distinction entre savoir et croire : savoir c’est considérer comme vrai en étant capable de le prouver et de le justifier / croire c’est considérer comme vrai sans pouvoir le prouver.

De façon générale, les hommes ont besoin d’être rassurés par rapport à ce qu’ils sont et à ce qui les entoure. En effet, certains phénomènes observés sont étranges, voire angoissants, et c’est notamment le cas de la mort. Ainsi, face à la question de la mort, il peut être rassurant et même séduisant de penser qu’un être supérieur nous protège et nous assure une postérité (illustration de l’idée de protection dans le tableau de Leonard de Vinci Sainte Anne, Marie et Jésus).

leonard de vinci sainte anne

 

Selon Bergson (Les deux sources de la morale et de la religion), les hommes ont besoin de croire et la religion peut être un facteur de cohésion sociale lorsque celle-ci est ouverte et porteuse de valeurs de tolérance. Croire en Dieu permet alors de rassurer l’homme, et comme il se sent libéré de la peur de l’avenir, il peut se consacrer à la vie en commun. En ce sens, la religion joue un rôle psychologique (diminution de l’angoisse) mais aussi un rôle social (l’apaisement permet aux hommes de sortir de la bulle de leur intérêt personnel pour s’intéresser à l’intérêt commun). Mais Bergson souligne aussi que la religion, lorsqu’elle n’est pas ouverte mais fermée comme cela a été majoritairement le cas, conduit les hommes à l’aveuglement, à la superstition, voire à des comportements absurdes et immoraux (« Le spectacle de ce que furent les religions, et de ce que certaines sont encore, est bien humiliant pour l’intelligence humaine »).

A cette dimension psychologique, s’ajoute une dimension morale dans la croyance en un Dieu. Dans La Religion dans les limites de la simple raison, Kant affirme qu’il est impossible de dire avec certitude que Dieu existe ou n’existe pas, car Dieu est un objet métaphysique qui n’est pas connaissable. Mais, pour Kant, l’Idée de Dieu en l’homme peut jouer un rôle moteur pour agir moralement. Ainsi, Kant montre que c’est surtout pour des raisons morales que l’homme a besoin de croire en Dieu. La figure du créateur et du juge suprême est indispensable pour que les hommes donnent un sens à leurs actes : Kant remarque que, durant leur vie terrestre, ce n’est pas parce qu’ils font rigoureusement leur devoir et qu’ils agissent conformément aux lois morales dictées par leur raison pratique que les hommes sont heureux et en bonne santé. Ce n’est donc pas parce qu’ils sont bons moralement qu’ils sont récompensés pour cela. L’Idée de Dieu est donc importante car elle permet aux hommes de croire qu’un jour, après leur mort, ils seront récompensés. Selon Kant, l’Idée de Dieu régule le comportement moral des hommes et, d’une certaine façon, la morale est renforcée par la religion. Par expl, dans la religion chrétienne, les croyants pensent qu’ils pourront être  récompensés après leur mort pour leur attitude morale en accédant au Paradis. Sinon, ils seront conduits en Enfer (cf. Le Jugement dernier de Michel Ange, plafond de la Chapelle Sixtine, ou Le Jardin des délices de Jérôme Bosch).

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Michel Ange, Le Jugement dernier

On voit donc que la religion est à la fois un remède pour apaiser l’angoisse créée par  la conscience de notre finitude,  (l’homme sait qu’il est mortel et qu’il n’occupe qu’une place minuscule dans le monde), un moyen pour donner un sens moral à nos actes,  et le ciment d’une vie commune. En effet, l’union des hommes autour d’une même croyance permet l’institution de lieux communs (églises, synagogues, temples…), de symboles (la croix, la lune, l’étoile…) et de rituels partagés (habitudes alimentaires, prières, messes, fêtes…).

La religion peut ainsi donner à un peuple une force commune considérable, que l’on peut voir par expl se manifester dans l’énergie mise à toutes les époques dans la construction des édifices religieux (expl : Mosquée bleue en Turquie, Mosquée de Shiraz en Iran, Temple du Lotus à New Delhi, Monastère de Takstshang au Boutan, cathédrale de la Nativité à Milan, Cathédrale Saint Basile le Bienheureux à Moscou, Temple Cao Dai au Vietnam, cathédrale de Reims, Sainte Chapelle à Paris, Temple de la saison des cerisiers en fleurs à Osaka au Japon…).

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Intérieur de la Mosquée de Shiraz, en Iran
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Temple du Lotus à New Delhi, en Inde
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Monastère de Taksang, au Bouthan
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Cathédrale Saint Basile le Bienheureux à Moscou en Russie
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Temple du Pavillon d’or à Kyoto au Japon
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Sainte Chapelle à Paris

Le sociologue Emile Durkheim (Les formes élémentaires de la vie religieuse) souligne cette dimension sociale de la religion. La religion est ce qui consolide, et même sanctifie, le mode de vie d’un peuple en le traduisant dans un langage cosmique et sacré. Il n’y a pas de religion sans Église car elle permet la sédimentation des conditions de vie collective. C’est d’ailleurs ce qui distingue la religion de la magie : la magie est strictement individuelle alors que la religion rassemble les individus en une foi commune. Ceci peut expliquer la diversité des religions : celle-ci exprimerait la différence des cultures où chacune élabore dans un registre sacré les principes et valeurs qui sont au cœur de sa manière de vivre.

« Les croyances proprement religieuses sont toujours communes à une collectivité déterminée qui fait profession d’y adhérer et  de pratiquer les rites qui en sont solidaires. Elles ne sont pas seulement admises, à titre individuel, par tous les membres de cette collectivité ; mais elles sont la chose du groupe et elles en font l’unité. Nous arrivons donc à la définition suivante : une religion est un système solidaire de croyances et pratiques qui unissent en une même communauté morale, appelé église, tous ceux qui y adhèrent ».

 La religion est donc un phénomène présent dans toutes les cultures parce qu’elle répond à une tendance de l’homme à se questionner sur sa vie et sur sa place dans l’univers, et parce qu’elle est l’occasion pour les hommes de renforcer le lien entre eux par le partage d’une vie commune.

Transition : certes, la religion permet de rassurer l’homme et de les unir mais ce soulagement n’est-il pas illusoire ? La croyance en un être supérieur n’est-elle pas une solution de facilité pour ne pas avoir à expliquer rationnellement qqch? Et le lien alors crée entre les hommes n’est-il pas artificiel ?

II) La religion est un artifice qui infantilise l’homme et l’empêche de penser

Pour les questions métaphysiques comme celle de Dieu, le savoir est impossible. La croyance est donc le mode d’approche approprié. En effet, Dieu est un être dont on pose l’existence mais on ne peut pas le prouver (cf. Kant, Critique de la raison pure : pour les questions métaphysiques, il faut « mettre de côté le savoir et laisser place à la croyance »).

La croyance est subjective (chacun est libre de croire ou non en qqch) et un problème se pose lorsque le croyant confond la croyance et le savoir, et croit qu’il sait. Le fanatique est celui qui prétend savoir que Dieu existe et qui impose son savoir aux autres, parfois en recourant à la force (expl : lors des Croisades, les Chrétiens imposaient par la violence les dogmes de leur religion ; les islamistes commettent des attentats pour imposer leur manière de croire ; les bouddhistes birmans refusent de reconnaître les Rohingyas comme de véritables citoyens…).

La religion peut donc devenir dangereuse lorsque la question de Dieu n’est plus abordée sur le mode de la croyance mais sur le mode du savoir. C’est lorsque les croyants des différentes religions prétendent savoir ce qu’il en est du divin que ces religions s’affrontent et perdent leurs valeurs de paix et de rassemblement pour se faire la guerre et imposer aux autres leur prétendu savoir.

Cf Voltaire article « fanastime » du Dictionnaire philosophique portatif : « Le fanatisme est à la superstition ce que le transport est à la fièvre, ce que la rage est à la colère. Celui qui a des extases, des visions, qui prend ses songes pour des réalités, et ses imaginations pour des prophéties, est un fanatique novice qui donne de grandes espérances ; il pourra bientôt tuer pour l’amour de Dieu (…)  Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu’aux hommes, et qui en conséquence est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant

De plus, la religion repose sur des coutumes et sur des dogmes qu’il faut admettre (expl : les 10 commandements). Le fait de devoir admettre conduit le croyant à mettre de côté son esprit critique, ce qui peut être utilisé pour manipuler les croyants par la peur ou même par la menace. Des formes dérivées de religions conduisent ainsi à la superstition (expl : pratique des indulgences au Moyen-Age : les religieux disaient aux croyants que s’ils ne payaient pas une certaine somme, ils ne pourraient pas aller au Paradis) et/ ou à la formation de sectes (expl : les Témoins de Jéhovah recrutent de nouveaux membres à la sortie des concours, dans des moments de faiblesse des étudiants)(Cf. vidéo Ted « Why do people join cults »).

Sans aller jusqu’à ces dérives, Marx affirme que la religion est « l’opium du peuple », cad une drogue qui adoucit les difficultés de la vie réelle mais qui en même temps rend les hommes dépendants et les empoisonne. La religion permet ainsi aux autorités politiques et économiques de manipuler le peuple en lui faisant croire qu’il parviendra au bonheur dans une vie après la mort. La religion permet donc aux dirigeants capitalistes d’exploiter la classe ouvrière et de lui faire accepter ses conditions de vie terribles, comme si une vie de martyrs pouvait leur assurer un accès au Paradis.

Dans L’avenir d’une illusion, Freud présente aussi la religion comme une illusion. Selon lui, elle a été inventée pour manipuler les hommes et pour assouvir leur désir de sécurité : Dieu serait la figure du père, sévère et protecteur. Cet attachement à la figure du Père conduirait les hommes à se soumettre à son autorité et, par là même, à se déresponsabiliser.

« L’angoisse humaine en face des dangers de la vie s’apaise à la pensée du règne bienveillant de la Providence divine, l’institution d’un ordre moral de l’univers assure la réalisation des exigences de la justice, si souvent demeurées irréalisées dans les civilisations humaines, et la prolongation de l’existence terrestre par une vie future fournit les cadres du temps et le lieu où ces désirs se réaliseront. Des réponses aux questions que se pose la curiosité humaine touchant ces énigmes : la genèse de l’univers, le rapport entre le corporel et le spirituel, s’élaborent suivant les prémisses du système religieux. Et c’est un formidable allègement pour l’âme individuelle que de voir les conflits de l’enfance émanés du complexe paternel conflits jamais entièrement résolus lui être pour ainsi dire enlevés et recevoir une solution acceptée de tous. »

Cf. tableau de Francis Bacon, Portrait du pape Innocent X : contrairement au tableau de Velasquez dans lequel le pape est en gloire, le personnage sort de la sphère du sacré et entre dans l’horreur chez Bacon. Ce tableau peut être lu comme une rupture de Bacon avec l’ordre familial imposé par son père. Bacon lui-même dit : « les tableaux seront toujours des échecs soumis au hasard et à la chance, à l’accident, à l’inconscient. » (vidéo Nart « Portrait du Pape de Bacon »).

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A gauche, Portrait du Pape Innocent X par Velasquez, à droite par Francis Bacon

 

Nous pouvons constater aujourd’hui que les religions perdent de l’ampleur, sans pour autant perdre leur influence.  Lorsque Nietzsche affirme dans Ainsi parlait Zarathoustra que « Dieu est mort », il souligne la nécessité de penser en dehors des valeurs traditionnelles comme le Bien et le Mal. Désormais, il n’y a plus de séparation manichéenne entre un Dieu et un Diable. Cependant, « par-delà Bien et Mal » ne signifie pas « par-delà le bon et le mauvais ». Si Nietzsche dit que « Dieu est mort », ce n’est pas pour dire que la morale a disparu avec Dieu. Au contraire, il veut montrer aux hommes la nécessité de penser la morale en dehors de toute référence à la religion. C’est à cette seule condition qu’une action peut être dite bonne ou mauvaise car celui qui agit en pensant à la récompense ou à la punition divine n’agit pas pour l’humanité mais pour son salut personnel. Il faut donc penser la morale et agir moralement pour les hommes, et non par référence à Dieu. Cf. vidéo Monsieur Phi « La religion empêche-t-elle d’être moral ? »

Transition : Nous voyons donc que la religion peut être dangereuse et conduire à la violence et à la manipulation. Pourtant, la foi en elle-même n’est pas néfaste. Elle peut aider certains à mieux vivre et à défendre certaines valeurs morales. Alors comment éviter les dérives ?

III) Chacun doit rester libre de croire en ce qu’il veut, à condition que cette croyance reste subjective

Pour certains hommes, avoir la foi permet de vivre, au sens où la croyance en Dieu et en une vie après la mort donne un sens (une direction et un but) à leur vie terrestre. La foi peut aussi inciter certains hommes à être vertueux et bienveillants, à défendre des valeurs comme le respect, la générosité, la charité.

D’ailleurs, les véritables croyants ne prétendent pas connaître Dieu : ils sont conscients que leur croyance n’est qu’une croyance, et la foi est liée au doute. Ainsi, le véritable croyant ne cesse de remettre en cause sa croyance et ne prétend pas imposer sa croyance aux autres. La foi reste donc dans la sphère subjective, dans le questionnement et dans la réflexion personnels. Cf. Mooc « La liberté de conscience et de religion »

 

Texte de Spinoza, Traité Théologico-politique :  « Puisque donc un droit souverain de penser librement, même en matière de religion, appartient à chacun, et qu’on ne peut concevoir que qui que ce soit en soit déchu, chacun aura aussi un droit souverain et une souveraine autorité pour juger de la religion et pour se l’expliquer à lui-même et pour l’interpréter. La seule raison pour laquelle en effet les magistrats ont une souveraine autorité pour interpréter les lois et un souverain pouvoir de juger des choses d’ordre public, c’est qu’il s’agit d’ordre public; pour la même raison donc une souveraine autorité pour expliquer la religion et pour en juger appartient à chacun, je veux dire parce qu’elle est de droit privé.»

La foi bien comprise invite donc au respect, et en particulier au dialogue et au respect des autres croyants, des croyants d’autres religions et des athées (sur la position athée : cf. vidéo La Tronche en biais « L’athéisme et le langage ». Et d’ailleurs, l’athéisme est loin d’être désenchanté et dépourvu de charme car il a le mérite de souligner la richesse et la complexité de l’intelligence humaine, tout en soulignant la beauté des processus naturels, la mort notamment, qui nous permettent de partir et de revenir à une matière élémentaire. Cf. vidéo Balade mentale « Poussières d’étoiles »

 

En un mot, philosophons!

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